Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rallier du Baty s’engageait à remettre aux concessionnaires son rapport et ceux de ses compagnons, donnant le relevé exact de ce qu’ils auraient recueilli. MM. Bossière communiquèrent à l’expédition tous les renseignemens qu’ils possédaient, lui procurèrent un léger subside et lui recommandèrent de faire respecter leurs droits par les navires étrangers.

M. Rallier du Baty, qui avait fait partie de la première expédition antarctique du docteur Jean Charcot, obtint, par lui, une modeste subvention de la Société de Géographie ; il s’entendit ensuite avec son frère Henri, qui prit le commandement de l’expédition. Quatre marins éprouvés complétèrent l’équipage. C’est donc à six que ces hardis navigateurs, montés sur un voilier de 16 tonneaux de jauge, quittèrent Boulogne le 22 septembre 1907. Ils firent escale à Cherbourg, relâchèrent à Brixham, sur la côte anglaise, pour réparer une avarie ; puis ils gagnèrent Madère en huit jours et, par un temps favorable, se dirigèrent vers Rio-de-Janeiro, qu’ils atteignirent à la fin de décembre.

Une année s’écoula sans qu’aucune nouvelle vînt nous fixer sur leur sort. Nous en étions aux conjectures quand une lettre de Raymond Rallier du Baty, datée de la Baie Royale (Royal Sound), le 15 novembre 1908, arriva au président de la Société de Géographie, et nous rassura sur leur compte. De Rio, le J.-B. Charcot s’était rendu à l’île isolée de Tristan de Cunha, rarement visitée ; de là, au Cap, où il essuya une violente tempête. Le (S mars 1908, il mouillait à l’île Rolland, qui fait partie du groupe des Kerguelen, et se trouve située au Nord-Ouest de la grande terre. La petite mission, pendant les premiers mois de son séjour, avait visité les baies et mouillages de la côte orientale, fait des sondages, effectué des levers au cours d’excursions à pied ou en barque, recueilli des échantillons pour le Muséum. Il serait prématuré d’apprécier la valeur de ces documens ; mais comment ne pas rendre hommage à la hardiesse de ces six Français, dont l’aventureuse entreprise rappelle les exploits de nos navigateurs d’autrefois[1].

  1. Rentré en France en mai 1910, M. Raymond Rallier du Baty a pu nous renseigner sur la suite de son voyage. Le 3 juin 1909, il laissait à Port-Jeanne-d’Arc, récemment créé, son frère Henri, dont la santé réclamait des soins et qui fut rapatrié par un vapeur de la Société Norvégienne Storm Bull et Cie. Il quitta les Kerguelen le 10, après quinze mois de station dans ces parages ; son petit voilier, monté seulement par lui et ses quatre marins, dut lutter pendant quarante-cinq jours contre une mer démontée. « En de pareilles circonstances, nous écrivait au retour ce capitaine de vingt-six ans, n’importe quel navire se fût trouvé en péril. Seul le filage de l’huile nous sauva. Le 25 juillet nous étions à l’entrée de Melbourne… Pendant ces jours d’épreuve, comme durant tout le voyage, la conduite de nos matelots fut au-dessus de tout éloge. De tels hommes font honneur à la marine française. À Melbourne, vente de la cargaison ; payé et rapatrié l’équipage. Moi, je reste pour vendre le Jean-Baptiste Charcot ! Tout le monde le visite, mais personne ne veut l’acheter : il a souffert et cale trop d’eau. Je suis sans ressources ; il me faut faire tous les métiers pour vivre. Enfin un capitaine de Nouméa me l’achète pour une poignée d’or. Le cœur un peu gros, je tourne le dos au petit navire qui nous a vaillamment portés pendant plus de deux ans à travers 15 000 milles d’Océan, et j’embarque à bord du paquebot des Messageries maritimes en partance pour Marseille. » — Les intéressantes collections des frères Rallier du Baty vont être réunies au Muséum d’Histoire naturelle.