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vaisseaux de ligne, lui donnait la chasse : puis, trompant la vigilance de l’ennemi, il pénétra dans le port de Lorient, bloqué par une escadre anglaise, forte de 7 vaisseaux[1].

La course battait alors son plein. C’était l’époque où, comparable à un Dominique de Gourgues[2], le fameux corsaire Thurot, soit sur sa corvette la Friponne, soit avec une escadre, faisait à l’Anglais une guerre sans merci, brûlant ou coulant, dans une campagne de trois mois, une soixantaine de bâtimens, poursuivant l’ennemi jusque dans le port d’Edimbourg, inquiétant l’Ecosse, débarquant en Irlande, rançonnant les villes et démantelant les forteresses. Un jour cependant, le 28 février 1760, au large de l’île de Man, dans un combat acharné, un projectile l’atteignit et mit un terme à son étonnante carrière.

Le gouvernement, qui envisageait la possibilité de porter la guerre au cœur même de la Grande-Bretagne, confia, en 1762, au chevalier de Kerguelen le commandement à Dunkerque d’« une escadre composée de prames, frégates, corvettes, et destinée à conduire 300 bateaux plats pour opérer une descente en Angleterre, lorsque la Cour l’ordonnerait, » plan audacieux qui fait songer à la flottille et au camp de Boulogne, à « l’immense projet » de Napoléon dont les caprices de l’Océan et le désastre de Trafalgar arrêtèrent l’exécution.

Sur ces entrefaites, le traité de Paris consacra notre déchéance coloniale. Malgré tout, la pensée de faciliter un débarquement hantait encore l’esprit de nos marins. Ainsi Kerguelen, devenu lieutenant de vaisseau, proposa et fit adopter le plan d’une corvette-canonnière, « tirant peu d’eau, allant à la rame et à la voile, très propre à appuyer des opérations sur les côtes et en rivière. » De ce type est la Lunette, qu’il fit construire à Brest et dont il prit le commandement.

Ses brillantes croisières et ses travaux dans les ports lui valurent plusieurs missions spéciales et la tâche d’organiser des pêcheries de morues sur les côtes d’Islande. Les campagnes de la Folle et de l’Hirondelle, dans les régions arctiques, ajoutèrent à sa réputation ; aussi fut-il fait bon accueil à son projet

  1. Relations de deux voyages dans les mers australes et des Indes faits en 1771, 1772, 1773 et 1774, par M. de Kerguelen, p. 114, 117. Paris, Knapen et fils, 1782. L’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale porte cette annotation manuscrite : « très rare, le gouvernement ayant saisi la plupart des exemplaires. »
  2. Sur la course au XVIIe siècle, et sur Dominique de Gourgues, voir Histoire de la Marine française, par Charles de La Roncière, t. IV. p. 63-70. Paris, Plon, 1910.