Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’était pas tout de saisir ; il fallait vendre. En vain le commissaire-priseur essaya-t-il d’exciter les enchères : un bourgeois de Munster, du nom de Hoette, fut seul acquéreur de tous les objets proposés ; il les achetait pour les rendre à l’évêque, et pour les lui rendre à titre de prêt, de façon qu’ils échappassent à toute autre confiscation. Une fois seulement, une voix s’éleva, timide, pour disputer un objet à Hoette ; elle fut couverte par les huées de la foule. Une heure après la vente, la foule de Munster ramena triomphalement à l’évêché, non seulement le mobilier, mais la voiture épiscopale elle-même, et des milliers de vivats acclamaient l’évêque. L’évêque Brinkmann était désormais insaisissable, puisque Hoette était propriétaire de ses meubles ; et sur cet insolvable, les amendes continuaient de pleuvoir, garantes de la future prison.

Eberhard, de Trêves, n’attendit pas longtemps ; le 3 mars, son heure sonna : un fonctionnaire arrivait avec mandat d’arrêt. « Usez de la force, dit Eberhard. — « La force, elle est dans ce mandat, » reprit le visiteur officiel, à qui cette force même pesait. « Mettez la main sur moi, » insista l’évêque. L’autre alors, nuançant de respect la dure contrainte : « Monseigneur, donnez-moi votre main. » Et la main du fonctionnaire, qui peut-être tremblait, garda captive celle de l’évêque, jusqu’à ce que celui-ci fût debout. On partit : le policier voulait passer par le jardin. « Je n’ai pas à craindre la rue, dit Eberhard, et je n’ai pas honte de cette promenade. » L’Eglise d’Allemagne, prisonnière en sa personne, voulait le contact du peuple, une fois encore, avant la solitude de la geôle. Car le peuple était là, ce peuple à qui l’État voulait se cacher et l’Église se montrer ; il s’agenouillait, criait, pleurait. « Calmez-vous, disait Eberhard tout le long du chemin ; les choses iront mieux. »

Sur le seuil de la prison, il se retourna pour bénir, et pendant près de dix mois, Matthias Eberhard, évêque de Trêves, ne put écrire, manger ni parler, sans qu’un policier lût ses lettres, vérifiât les plats qu’il se faisait apporter, assistât en tiers aux courtes visites qu’on lui permettait d’accueillir.

Un jour, ce policier vit entrer et tomber à genoux un ancien magistrat de Trêves ; c’était le député Auguste Reichensperger : « J’ai fait visite à bien des évêques dans ma vie, racontait plus tard Reichensperger, et je ne me prosternais pas, mais quand