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lui ; qu’il se souciât plutôt de leur credo philosophique que de leur passé ; et qu’à titre d’ennemis du cléricalisme, il les amnistiât. Ses armées avaient mis un terme à l’occupation matérielle de notre territoire, mais on eût dit qu’il rêvait une sorte. d’occupation morale, au cours de laquelle notre attitude à l’endroit de Rome se réglerait sur la sienne. Du moins Challemel-Lacour sembla-t-il le croire lorsqu’en attaquant à la tribune le projet de loi sur la liberté de l’enseignement supérieur il évoqua l’image des périls extérieurs qui succéderaient peut-être à cette nouvelle affirmation catholique de la France. Se recroquevillant dans l’exclusivisme de ses haines, Bismarck, en 1874, voulait semer parmi les nations la haine du Pape, comme les Jacobins en 1792 avaient voulu semer parmi elles la haine des rois ; et gare à la France si la moisson n’y levait pas toute seule ! C’était là le sens profond des demi-menaces que faisait avorter la belle habileté de Gontaut.


III

Le Culturkampf national continuait de marcher fort mal : les violences succédaient aux échecs, les échecs aux violences. La presse catholique faisait de gigantesques progrès. Partout se fondaient de petites feuilles au service du Centre et de l’Eglise. Bismarck mobilisait les parquets contre les journalistes ; les procureurs recevaient des formulaires signés en blanc, par lesquels Bismarck poursuivait à l’avance les outrages dirigés contre sa personne. Ils en usèrent et en abusèrent ; il y en eut qui sous ce prétexte incriminèrent et firent condamner des articles où le libéralisme seul était attaqué. D’autres allèrent jusqu’à traquer les conversations. L’on vit une pauvre couturière traînée en justice, parce qu’elle avait médit de Bismarck, et un prêtre condamné à trois mois de prison et finalement expulsé d’Allemagne, parce qu’il avait donné à son chien le nom de Bismarck. « Si je le tenais, je le pendrais, » avait dit à Aix-la-Chapelle une femme de la halle : elle expliqua devant le tribunal qu’effectivement, si elle avait son portrait, elle l’aurait pendu. Les juges acceptèrent son explication ; elle fut l’une des rares accusées qui furent absoutes du crime de lèse-majesté bismarckienne. Les associations catholiques étaient espionnées ou prohibées ; celle qu’avait fondée le baron de Loe était,