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auraient pu se lever et dire que par ces lèvres véhémentes de quelques évêques, plus soucieux de la liberté divine que de l’humaine prudence, la France, tout à l’heure accablée par l’envahisseur, prenait conscience de respirer à nouveau ; qu’impatiente peut-être de crier elle-même à Bismarck certaines vérités, elle écoutait sans déplaisir les audaces impunies du Verbe spirituel ; et que cet amour du risque, cette soif d’aventureuse revanche, dont se laissaient tenter alors les âmes des Français vaincus, pouvait trouver un attrait et un premier soulagement dans ces paroles de prélats, légitimement inquiétantes pour la pondération des diplomates. Aussi le duc Decazes jugeait-il impossible un appel comme d’abus ; si Bismarck voulait poursuivre, on atténuerait l’éclat en faisant condamner Plantier à l’amende, par défaut, et sans aucun apparat d’éloquence ; assurément Plantier s’y prêterait, et l’évêque de Nîmes, en effet, avec une « patriotique modération » dont témoignait plus tard le ministre Larcy, déclarait au maréchal de Mac Mahon qu’en pareille occurrence il renoncerait à se défendre. Mais Decazes espérait gagner du temps, et traverser ainsi le défilé. « Le chancelier, écrivait-il à Gontaut, prétend nous entraîner de force à le suivre dans sa croisade contre l’Eglise ; nous ne discutons pas, nous restons en place. »

Bismarck était pressé ; le 15 janvier, pour intimider la France, il écrivait aux représentais de l’Allemagne à l’étranger que, tout désireux qu’il fût de la paix, il voulait lui-même, s’il sentait la guerre inévitable, en choisir le moment ; que la France deviendrait l’ennemie jurée de l’Allemagne du jour où elle s’identifierait avec la Rome papale, antagoniste de l’Empire ; qu’une France soumise à la théocratie était inconciliable avec la tranquillité du monde, et qu’en rompant avec l’ultramontanisme, la France fournirait la plus sûre garantie pour la paix de l’Europe. La Gazette de l’Allemagne du Nord, le 16 janvier, développait les mêmes aphorismes ; ils résonnaient comme un ultimatum ; à Paris, la Bourse s’émouvait. Et voici que, le 18, paraissait au journal l’Univers un mandement de l’évêque Dabert, de Périgueux, où Bismarck encore pourrait trouver prétexte à chicane ; d’autres articles, dans le même numéro, ne ménageaient pas à l’Allemagne les vivacités. Decazes, immédiatement, suspendit le journal pour deux mois : il espérait que Gontaut pourrait, en annonçant à Bismarck cette décision, déterminer le