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prohibé, celui des autres n’est permis qu’aux conditions que les syndicats ont arrêtées. Le propriétaire est contraint de demander les journaliers dont il a besoin à la Chambre du Travail : celle-ci lui impose les ouvriers de son choix, et si les travaux durent plusieurs jours, elle a soin de lui envoyer chaque jour des ouvriers différens. Un propriétaire n’a même pas le droit de faire transporter par ses métayers, sur ses charrettes, avec ses chevaux ou ses bœufs, la chaux et les briques nécessaires à la réparation de ses maisons de ferme : il y a un syndicat des carrettieri, auquel ce travail doit être réservé. Les ouvriers organisés sont toujours prêts à soutenir leurs prétentions par la violence. Refuse-t-on leurs services, en raison du salaire trop élevé qu’ils réclament ? ils envahissent le fonds, fauchent l’herbe des prairies ou mettent le blé en gerbes, et ne consentent à se retirer qu’après avoir obtenu pour leur travail le prix qu’ils ont fixé. Ce procédé est connu sous le nom de cyclone : en 1909, son application entraîna des désordres si lamentables que la Chambre du Travail de Ravenne le condamna. Mais les ouvriers ne manquent point d’y recourir à l’occasion.

Exploités par les braccianti, exploités par les mezzadri, les propriétaires ont senti le besoin de se défendre et, pour se mieux défendre, de s’unir. La nécessité les a conduits d’abord à adopter, dans une même province ou dans une même commune, un contrat de métayage uniforme, et un tarif unique pour les travaux extraordinaires payés à la journée : ce fut l’œuvre des comices agricoles (comizi agrari), dont le gouvernement reconnut l’autorité et sanctionna les décisions. Mais les propriétaires sont allés plus loin : ils se sont eux-mêmes organisés, reconnaissant, un peu tard, les avantages du système que leurs adversaires employaient contre eux avec tant de succès. Les premiers essais d’organisation entre propriétaires fonciers en Italie remontent aux années 1900-1901 : ils ne furent pas heureux. Dans beaucoup de régions, les promoteurs de l’association se heurtèrent, soit à l’esprit particulariste et routinier si répandu dans la classe à laquelle ils s’adressaient, soit au manque de solidarité et à la méfiance des petits propriétaires vis-à-vis des grands, soit enfin à la répugnance que les moins fortunés ou les moins avisés montraient à consentir un sacrifice jugé trop lourd ou inopportun. Il ne fallut rien moins, pour vaincre les hésitations et les résistances, que la grande grève agricole qui éclata au