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n’y a rien ; une maison peinte qui se détache plus vivement dans l’ombre, une porte à dos d’âne, une colonne sculptée, une porte cintrée avec deux marches en pierre et si usées ! Dans la paix de ces petites rues, une heure sonne au clocher de l’église paroissiale, sons graves, lents, espacés, que la vibration prolonge encore et qui emplissent le ciel. Où est donc l’église de Saint-Martin ? Perdu à travers ces ruelles, on ne la découvre pas. Elle est là, tout près. Il n’y a qu’à franchir un passage voûté : au milieu d’une vaste place déserte, elle dresse, enveloppée d’un silence profond, d’un silence vraiment religieux que le ciel bleu éclaire, sa grande tour solide de grès rouge que la nef semble suivre comme une compagne modeste. Tout est chétif autour d’elle et soumis, mais confiant aussi : elle n’est pas orgueilleuse, elle est forte, elle est simple, elle veille et les maisons s’abritent dans la quiétude qu’elle répand. Silence qui maintenant gagne tous les quartiers : les petites lumières qui brillaient derrière les fenêtres se sont éteintes ; chacun est rentré chez soi ; les vieilles maisons aux vieux toits sont endormies. C’est une ville du temps jadis…

… Le jour renaît, les boutiques s’ouvrent, les ouvriers vaquent à leurs besognes, on arrose les rues ; le tramway qui traverse la grande rue, — le seul qu’il y ait à Colmar, — essaie, avec son sifflet et son timbre, de faire l’important ; la ville travaille. Il faut la visiter maintenant pour voir ce qu’on a seulement aperçu hier, dans l’ombre. Elle peut bien s’agiter, cette petite ville, et produire aux étalages de ses magasins les plus récentes nouveautés ; à chaque pas, dans ses rues, c’est le passé qu’on rencontre, un passé intact, respecté, et qui paraît si naturellement être la seule réalité. Ce qu’on voit, ce ne sont pas seulement, comme la nuit dernière, les rues étroites avec leurs maisons colorées et surplombant la voie de saillies variées, l’alignement tortueux, le pavé raboteux, des effets de clair-obscur, mais c’est tout le détail des richesses anciennes qui constituent la forte individualité de la ville, et c’est son histoire écrite avec les pierres au cours des siècles. Tout ici est un souvenir : le lycée est un ancien prieuré, une salle de cabaret est aménagée dans l’ancien couvent des Catherinettes, la prison est une ancienne maison d’Augustines, des propriétés privées occupent les lieux où l’empereur Sigismond descendait, quand il séjournait à Colmar : au couvent des chevaliers de Saint-Jean