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Belgique, aujourd’hui que, maîtresse des destinées du Congo, elle abandonne l’exploitation du domaine, cette question garde son intérêt pour la France vouée pour longtemps encore en Afrique au régime concessionnaire.

L’article 5 de l’acte signé à Berlin en 1885 porte : « Toute puissance qui exerce ou exercera des droits de souveraineté dans les territoires susvisés (du bassin conventionnel du Congo) ne pourra y concéder ni monopole ni privilège d’aucune espèce en matière commerciale. »

Quelle est la portée exacte de cette disposition ? L’exploitation du domaine par l’Etat ou sa répartition entre concessionnaires ne constituent-elles point un « monopole » ou « privilège ? »

À cette objection, on peut opposer différens argumens défait et de droit. L’exploitation des forêts et la vente de leurs fruits ne sont point un acte de commerce : c’est un acte de la vie civile. Or l’article 5 vise exclusivement les privilèges et monopoles « en matière commerciale. » C’est ce qui résulte du texte et plus clairement encore des commentaires qui en ont été donnés au cours même de la Conférence. Le représentant de l’Angleterre, sir Edward Malet, s’en est très nettement ouvert au nom de son gouvernement : « La première base de discussion de la Conférence est la liberté du commerce dans le bassin et les embouchures du Congo… Je vous prie de me permettre quelques paroles sur » l’interprétation à donner au terme « liberté du commerce. » Je crois avoir raison en pensant que le gouvernement impérial le comprend comme une garantie aux commerçans de tous pays qu’aucun droit d’entrée et aucun droit de transit ne sera levé et que leurs marchandises subiront seulement des impôts modérés destinés uniquement à pourvoir aux nécessités administratives. Cette interprétation répond à l’idée générale du gouvernement de Sa Majesté (britannique)[1]. »

  1. A la suite des explications échangées à ce sujet, le baron Lambermont fut chargé d’en faire l’exposé. Il le fit en ces termes : « Il ne subsiste aucun doute sur le sens strict et littéral qu’il convient d’assigner aux termes : en matière commerciale. Il s’agit exclusivement du trafic, de la faculté illimitée pour chacun de vendre et d’acheter, d’importer et d’exporter des produits et des objets manufacturés. Aucune situation privilégiée ne peut être créée sous ce rapport ; la carrière reste ouverte, sans restriction, à la libre concurrence sur le terrain du commerce, mais les obligations des Gouvernemens locaux ne vont pas au-delà. » L’étymologie et l’usage assignent à l’expression monopole une signification plus étendue qu’à celle de privilège. Le monopole comporte l’idée d’un droit exclusif ; le privilège ne va pas nécessairement jusque-là. Les termes « d’aucune espèce » s’appliquent évidemment au monopole comme au privilège, mais sous la restriction générale de leur application au domaine commercial. » Protocoles de la Conférence de Berlin, 1883. Annexes II au protocole n° 5.