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pourrait reposer sur l’opinion publique changeante. » L’article était frappant ; il marquait un tournant de l’histoire intérieure. Brouillé par sa politique religieuse avec l’ancien parti de gouvernement, Bismarck s’appuyait sur des hommes dont les maximes déplaisaient à la Cour et lui paraissaient à lui-même incompatibles avec le bon fonctionnement de l’Etat ; il leur signifiait d’en finir avec de telles maximes. Au moment où il leur posait ces conditions quasi doctrinales, il avait déjà besoin d’eux, et déjà ne pouvait se passer d’eux ; il se mettait à chicaner leur Credo lorsque déjà il était à leur merci.

Combien étaient plus sûrs, plus reposans, les alliés d’autrefois, ces vieux féodaux qui depuis deux siècles servaient les Hohenzollern ! « Au fond, notait finement Gontaut, les théories absolues des nationaux-libéraux ne convenaient pas à ses sentimens de gentilhomme poméranien. » Mais il en voulait à ses anciens amis du malaise qu’il éprouvait près des nouveaux : il imputait la brouille à des raisons mesquines, s’imaginant, par exemple, qu’on l’enviait à cause de ses dotations ; et, sortant de ses gonds, prenant je ne sais quel acre plaisir à rendre la déchirure plus grave encore, plus irréparable, il songeait à faire, d’un trait de plume, douze révocations dans son corps préfectoral. Les nationaux-libéraux saluaient en lui le champion de la civilisation moderne et lui créaient à ce titre une immense popularité. Bismarck aurait préféré qu’on l’honorât simplement comme champion de l’Etat : dans le courrier de complimens qu’il recevait, débordait parfois une haine contre les prêtres, qui finissait par lui faire peur. Il savait que la Cour était vigilante, qu’un chambellan de l’Impératrice avait dépensé de 10 à 20 000 thalers pour la campagne contre le projet scolaire, que le Roi était très affecté de la perspective des orages.

Aussi Falk procéda-t-il très doucement. Une circulaire du 13 mars invitait les autorités des provinces à confirmer dans leurs charges, au nom de l’État, tous les inspecteurs en fonctions, sauf ceux qui avaient manqué de vrai dévouement, soit à l’intérêt public, soit à l’enseignement de la langue nationale. En fait, on laissa bien tranquilles, dans leurs prérogatives d’inspecteurs, tous les pasteurs et les trois cinquièmes des curés. Dans la Prusse occidentale, la Posnanie, la Silésie, des commissions d’enquête furent constituées, épiant le sermon, l’adresse électorale, l’abstention de quelque fête nationale, qui pouvaient