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Suède. » Même aujourd’hui où les questions sociales nous pressent de toutes parts, le peuple suédois, attentif aux rumeurs de ses grévistes, ne s’échauffe vraiment qu’à la voix de ses théologiens. Il y a une quinzaine d’années, un roman de Rydberg, Le Dernier des Athéniens, paraissait en feuilleton dans un journal de Gotthenbourg. Un jour que le feuilleton manqua, les bonnes femmes, qui vendaient au marché, se plaignirent de ne pas savoir ce que devenait le héros Charmidès. Le roman, médiocre et froid exercice d’érudit, ne justifiait point tant de popularité ; mais on y retrouvait l’écho d’une querelle théologique récemment suscitée par les hypothèses d’un audacieux pasteur sur la nature de Dieu ; et les marchandes de Gotthenbourg, qui ne se formaient qu’une idée très vague de l’Acropole et du Pirée, s’étaient monté la tête sur ce livre d’où s’échappait un petit fumet de discussions cléricales et d’hérésie.

Ma première impression de l’esprit religieux du peuple suédois, je la reçus, à mon arrivée en Suède, d’un ouvrier de Karlskrona que mon hôtesse me mena visiter. C’était un dimanche ; depuis sept heures du matin, les cloches sonnaient à vous faire croire que ce port de guerre n’était qu’une ville de béguines. Notre ouvrier, qui était marié, qui avait huit enfans et qui gagnait environ six francs par jour, habitait, à l’extrémité de la ville carillonnante, dans une ruelle à pic sur la mer, une espèce de cambuse peinte en rouge, entourée d’un fouillis de fleurs. Il était en bras de chemise et jouait sur un harmonium qu’il avait acheté pour accompagner ses chants d’église. Sa femme plus âgée que lui, — comme il est fréquent chez les ouvriers et les paysans suédois qui préfèrent une compagne déjà très experte aux soins du ménage, — sa grosse femme et ses enfans remplissaient une des deux petites pièces dont se composait leur logis. Le fils aîné avait apporté son violon ; et leur après-midi du dimanche s’employait à louer Dieu. Mon hôtesse, qui était svedenborgienne, me dit que cet ouvrier appartenait, lui aussi, à la communion de Svedenborg. Mais sa piété ne dépendait point de sa foi particulière dans les visions du grand Mystique. De simples luthériens, qui demeuraient porte à porte, éprouvaient la même satisfaction à sanctifier leurs loisirs. Le mois précédent, l’ouvrier avait reçu chez lui un pasteur svedenborgien en tournée apostolique ; et le pasteur s’était émerveillé de découvrir dans cet homme rude et doux un disputeur