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recueillir d’immenses avantages en modifiant son attitude et ses visées ; l’Autriche, elle aussi, en abandonnant ses prétentions de domination sur la Péninsule courrait la chance presque certaine de réaliser des avantages considérables, et, ce qui est d’une importance capitale pour elle, elle éviterait ainsi une collision menaçante. La puissance des Habsbourg a vécu et s’est développée bien plutôt grâce à sa politique qu’aux victoires de ses armées, et on s’étonne aujourd’hui des hésitations du Cabinet de Vienne devant une position aussi critique. On ne comprend pas qu’il ne prenne pas les devans pour prévenir les dangers qui ne peuvent manquer de lui surgir.

Nous convenons franchement qu’il n’est pas commode à l’Autriche-Hongrie d’abandonner aujourd’hui la Bosnie et l’Herzégovine, après avoir considéré ces provinces, dès leur occupation, comme ses premières étapes vers Salonique et comme la clef de sa domination sur la partie occidentale de la Péninsule. Nous n’ignorons pas non plus les inquiétudes que l’Autriche-Hongrie peut concevoir pour l’avenir de certaines de ses provinces du Sud, si un État slave réellement puissant se formait sur ses frontières. Mais sans vouloir préjuger un avenir lointain, et sans contester les conséquences éventuelles de l’évolution politique que subissent les sociétés modernes, il nous semble admissible cependant que les peuples de la Péninsule, encore pendant une longue période de leur relèvement politique, pourraient trouver un intérêt puissant au maintien de l’Empire des Habsbourg qui, dans certaines conditions, formerait à coup sûr la garantie la plus efficace de leur propre indépendance. Le prix donc que l’Autriche-Hongrie ne manquerait pas de recueillir par l’inauguration d’une politique désintéressée ne resterait certainement pas au-dessous des sacrifices qui lui seraient imposés ; tandis qu’en laissant survenir une lutte de compétition avec la Russie, elle ne met ni plus ni moins en jeu que son existence elle-même.

Notre conviction est que, les circonstances aidant, l’un des compétiteurs arrivera certainement à adopter un jour la manière de faire que nous indiquons et qu’il se mettra alors à la tête du mouvement qui répond le mieux aux intérêts généraux de l’Europe ainsi qu’aux aspirations nationales des peuples orientaux. Celui des deux compétiteurs qui arborera le premier franchement et réellement une conduite aussi désintéressée sortira, sans aucun doute, vainqueur de la lutte.


Ces vues profondes sont devenues plus vraies encore depuis que la Révolution ottomane a fait renaître en Europe l’espoir d’une réorganisation de la Turquie par ses propres moyens et à son propre bénéfice. La constitution, sous une forme plus ou moins étroite, d’un groupement des différens Etats balkaniques, y compris la Turquie, apparaît plus que jamais comme souhaitable dans l’intérêt des grandes puissances aussi bien que dans celui des plus petites. Si l’Empire Ottoman mène à bien son œuvre de rénovation, tout espoir d’extension dans la péninsule est désormais fermé à la Bulgarie, à la Serbie, au Monténégro,