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LE ROMAN FRANÇAIS[1]

V
LE CŒUR SENSIBLE
LA NOUVELLE HÉLOÏSE[2]

Il y a deux sortes de romans pour ainsi dire opposés, les romans de grands chemins et les romans du chez soi. Entre ces deux catégories de roman, il est permis d’être incertain de son choix. Dans la première rentrent presque tous les romans chevaleresques, Don Quichotte, Gil Blas, Wilhelm Meister. Dans la seconde, les romans où la passion est maîtresse, les romans dont le héros est le parfait amour. Les voyages ne plaisent guère à ce héros-là, il lui faut un séjour fixe sous un toit aimé, de longues causeries sous le regard protecteur des dieux pénates, causeries où l’on se redit aujourd’hui ce qu’on s’était dit hier, ce qu’on se redira demain, une vie où chaque jour ressemble à la veille, où rien ne change autour de deux cœurs qui se flattent de ne changer jamais. Les longs voyages ne plaisent qu’aux inconstans en quête d’éternelle nouveauté. Les grands chemins sont oublieux, et ceux qui les hantent deviennent oublieux comme eux. La poussière ne garde aucune trace, on n’y peut reconnaître aujourd’hui l’empreinte des pas qui l’ont foulée hier. Le chevalier lui-même subit cette fatale influence. Il a beau emporter avec lui le souvenir de sa dame, la fièvre de

  1. Voyez la Revue du 1er mai.
  2. Copyright by Mme Gabriel Lippmann.