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d’Avignon, aux divers thaumaturges renommés ; elles étaient dans l’air, pour ainsi dire, et elles étaient admises par la crédulité populaire. On les appliqua à Jeanne dès qu’elle parut, et rien n’empêche de les lui appliquer encore[1].

Pour les prédictions émanant d’elle, elles sont nombreuses et contrôlées ; elles portent, presque uniquement, sur le sort de la France et sur le sort de Jeanne elle-même ; mais elles sont précises, et, en général, elles se sont réalisées. D’abord, les grandes prophéties, celles qui se confondent, en quelque sorte, avec la mission ; elles sont résumées énergiquement dans le premier réquisitoire : « Répond, qu’elle confesse qu’elle porta des nouvelles de par Dieu à son Roi, que Notre Sire lui rendroit son royaume, le feroit couronner à Reims et mettre bas ses adversaires ; et, de ce, en fut messager de par Dieu, et qu’il la mît hardiment en œuvre, et qu’elle lèveroit le siège d’Orléans, item que si Mgr le duc de Bourgogne et les autres sujets du royaume ne venoient en obéissance, que le Roi les y feroit venir par force. » (I, 232.)

Puis, la prophétie des Anglais : « Interrogée, sait bien qu’ils seront boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront et que Dieu enverra victoire aux François contre les Anglois. » (I, 178.) « Avant qu’il soit sept ans, les Anglois céderont le pas plus vite qu’ils ne l’ont fait à Orléans ; ils perdront tout en France et auront une perte plus grande qu’ils ne l’ont jamais eue en France. » Elle prédit les faits particuliers, la levée du siège d’Orléans, la victoire de Patay, celle de Formigny. (I, 174.) Elle dit, le 17 mars, dans sa prison : « et verrez que François gagneront, maintenant, une grande besoigne que Dieu enverra aux François, et tant qu’il branlera presque tout le royaume de France, » et elle ajoute qu’elle le dit, afin que « quand ce sera advenu, on ait mémoire qu’elle l’a dit. »

Cycle de prédictions que les contemporains ont vu se réaliser

  1. Morosini (III, p. 39). Voyez surtout la note de M. G. Lefèvre-Pontalis, en appendice, t. IV, in fine. — Ces prophéties, relatives à l’intervention de la femme pour réparer la faute de la femme, sont de tradition dans l’Église. Bossuet, dans un de ses sermons sur l’Annonciation, cite trois passages des Pères : Saint Irénée : « Il fallait que le genre humain, condamné à la mort par une Vierge (Eve), fût aussi délivré par une Vierge (Marie). » (Contr. Hæres. V, cap. XIX). — Tertullien : « Il était nécessaire que ce qui avait été perdu par ce sexe fût ramené au salut par le même sexe. » De Carne Christi, n° 17. — Saint Augustin : « Par une femme la mort et par une femme la vie. » De symb. ad Catech., III, 4. Dans les Œuvres de Bossuet, t. IV, p. 184.