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croient même que la réalisation des premières est la condition sine qua non de toutes les autres. Peut-être y a-t-il là une certaine somme d’illusions. La représentation proportionnelle n’est pas une panacée, et quand nous l’aurons, il nous restera encore beaucoup, ou plutôt il nous restera tout à faire, car elle est un moyen et non pas un but ; mais elle est précieuse à titre de moyen, et c’est par là qu’il faut évidemment commencer, le reste ne pouvant venir qu’ensuite. Malheureusement, M. le président du Conseil ne s’en est pas jusqu’ici montré partisan, et nous devrions même reconnaître qu’il s’en est déclaré l’adversaire, si nous étions sûr qu’il a dit sur ce point son dernier mot. Mais l’a-t-il fait ? La situation de M. Briand était embarrassante ; il savait fort bien que, quoiqu’elle l’eût votée, la Chambre expirante ne voulait à aucun prix de la représentation proportionnelle, et qu’il serait brisé lui-même, ainsi que son ministère, s’il l’adoptait ; dès lors, il a dû prendre son parti de la combattre, ou du moins de la désavouer. Il l’a fait d’ailleurs avec une discrétion relative et comme un homme qui se réserve. Dans son discours de Saint-Chamond, il en a parlé en termes évasifs, se bornant à lancer quelques pointes contre ses défenseurs bigarrés ; mais il ne s’est pas prononcé sur le fond des choses et n’a laissé échapper aucune de ces paroles sur lesquelles il est impossible de revenir. Le contraire aurait surpris ; M. Briand a déjà trop souvent et trop heureusement évolué au cours de sa vie politique pour s’interdire, dans l’avenir, des évolutions nouvelles, s’il les sent conformes au vœu du pays ; et enfin il y a, entre les intérêts dont la représentation proportionnelle est devenue le centre et ceux qui le préoccupent lui-même, des affinités qu’il est impossible de ne pas voir.

Quelle était la situation hier, et quelle est-elle aujourd’hui ? Cette paix que le pays désire et vers laquelle il tend, M. le président du Conseil en sent lui aussi la nécessité, et ses discours nous en ont apporté la promesse lorsqu’il a dit qu’il était l’homme des réalisations ; mais cette promesse ne pouvait être réalisée qu’à terme. Il n’y avait rien à faire avec une Chambre enfoncée dans l’ornière de la guerre des partis et qui avait mis tous ses atouts dans sa continuation. M. le président du Conseil parlait d’apaisement, la Chambre le repoussait. Que faire ? M. Briand aurait pu tomber ; peut-être y aurait-il eu pour lui un intérêt d’avenir à le faire ; il a préféré vivre et il a fait pour cela tout ce qu’il fallait. La question est de savoir s’il a définitivement renoncé aux espérances qu’il a fait concevoir, ou s’il les a seulement ajournées par surcroît. elle était posée au moment des élections