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LE ROI ET LA REINE DE NAPLES.

rien : « J’ignore tout ce que tu me dis sur Maghella. » Seulement, en marge de cette lettre, le plus fidèle ami de Murat, Agar, comte de Mosbourg, dépositaire après 1814 et 1815 de la correspondance de la Reine, a jeté cette annotation : « Elle-même avait obtenu l’ordre donné à Maghella de quitter Naples et de se rendre à Paris. Elle-même le disait alors presque publiquement à Paris et depuis elle l’a dit publiquement à Naples. » Conduite assurément risquée, qui n’en concourut pas moins à éloigner de Murat le plus cruel ennemi de la Reine et de la France.


VI

Pour réconcilier totalement l’Empereur et le Roi, Caroline comptait sur le grand événement qui désormais envahissait et emplissait l’horizon : la guerre avec la Russie, cette guerre plusieurs fois entrevue, aperçue dans les brumes du lointain, maintenant certaine, imminente, instante. Les destins vont s’accomplir ; de toutes les parties de l’immensité française et des régions alliées, des masses militaires s’ébranlent, convergent au même point s’adjoignent en Allemagne au rassemblement central ; elles progressent vers les frontières de la Russie en une agglomération d’armées. À Paris, la garde va partir et le grand état-major se forme ; il n’est plus question que de commandemens à distribuer, de nominations et de promotions ; dans les bureaux ministériels, l’affairement est au comble ; les jeunes officiers brûlent d’une belle impatience, vivent dans la fièvre de l’avancement et des grades ; les généraux se fournissent de chevaux de guerre et font leurs préparatifs de rentrée en campagne. D’un jour à l’autre, on peut apprendre que les rapports avec la Russie se sont définitivement brisés, et Murat le sait mieux que personne, puisque à sa cour et presque sous ses yeux une altercation de préséance, suivie de duel, s’est élevée entre le ministre de France et le représentant russe Dolgorouki.

En 1811, Caroline avait craint que Murat ne s’aventurât dans le Nord au préjudice de son royaume délaissé et ne parût ouvrir lui-même la vacance du trône napolitain. À présent, la situation est changée. Après la crise dernière, après tant de conflits aigus auxquels a succédé moins un rapprochement qu’une détente, il est de toute nécessité que Murat donne un gage qui