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s’affranchir des dernières entraves que leur imposait la loi, les sectes du Raskol et, avec elles, les Eglises dissidentes ont, dans le conflit des rites et des doctrines, un avantage manifeste sur l’Église privilégiée. En dépit des retours offensifs de la police, elles sont libres de se mouvoir et de combattre à leur gré ; à l’inverse de ce que se propose la législation impériale, les sectes du Raskol, autrefois désarmées vis-à-vis de l’Eglise en armes, ont contre leur adversaire la plus forte des armes modernes, la seule qui rende invincible : la liberté. Et cette liberté qu’on leur dispute encore en vain, les vieux-croyans, qui semblaient captifs d’un rituel corrompu et de superstitions surannées, en usent déjà largement, avec ardeur et avec habileté. Ils prient, ils prêchent, ils enseignent, au gré de leur conscience ; ils s’unissent, ils s’associent, ils discutent leurs affaires spirituelles et matérielles. Déjà, popovtsy et bezpopovtsy, — sectes qui gardent un clergé, sectes qui, faute de prêtres, ont laïcisé leur culte, — tiennent publiquement leur congrès ou leurs conciles. Le bruit en vient jusqu’aux oreilles des orthodoxes, et les plus ardens ou les plus pieux comparent l’engourdissement de leur clergé et la vie somnolente de leur Eglise avec la vie libre, spontanée, intense des chapelles starovères. Et, comme de jeunes pousses au brusque printemps du Nord, de nouvelles idées, de nouvelles prétentions percent, chez le clergé et le peuple orthodoxes, à travers la glace rigide des froides dévotions officielles. Prêtres ou laïques se demandent quand la sainte Eglise orthodoxe, héritière de la grande Eglise d’Orient, aura, elle aussi, ses assemblées et ses conciles, quand il lui sera permis, à elle aussi, de donner ou de rendre, en son clergé et en ses dignités ecclésiastiques, une part à l’élection et à la voix du peuple chrétien. Car en Orient, tout comme en Occident, telle réforme qui semble une innovation téméraire ne serait souvent qu’un retour au passé, aux vénérables usages de siècles plus chrétiens.

C’est ainsi que cette antique Eglise, qui, de loin, nous paraissait à jamais endormie à l’ombre de ses coupoles d’or ou d’azur, a commencé à ouvrir les yeux à un jour nouveau, à secouer ses membres assoupis, sentant naître en son sein des besoins jadis méconnus ou des aspirations longtemps comprimées. Elle s’est prise, en son élite, à songer, elle aussi, de rajeunissement, de renouvellement et, pour cela, de liberté et d’affranchissement.