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de trop vives difficultés. Nous bornerons notre étude à l’examen de la taille personnelle qui, on va le voir, était par sa nature un véritable impôt sur le revenu assis, sur l’ensemble des facultés de chaque contribuable.


Dans les provinces où était établie la taille personnelle, les rôles des paroisses étaient dressés conformément à l’état des contingens par des asséeurs-collecteurs élus par les habitans. Aux termes des édits royaux, les collecteurs étaient tenus d’imposer chaque taillable « raisonnablement et à proportion de ses facultés ; » ils devaient n’épargner personne, ni se laisser influencer « par haine ou par amour, par prière ou par crainte, » mais procéder à la répartition « bien et loyalement, en bonne foi et conscience, » de manière que chacun fût taxé à la somme qu’il pouvait légitimement supporter eu égard à ses biens et héritages.

En l’absence de renseignemens précis sur la situation des fortunes, l’impôt était fixé d’après les signes extérieurs et apparens de la richesse. On estimait que, surtout dans les campagnes, les ressources de chaque ménage étaient suffisamment connues pour qu’il fût possible de les taxer d’une façon équitable. Les collecteurs se bornaient à interroger les redevables, à se renseigner auprès des notables du pays et, sans autre formalité, établissaient au jugé les rôles de la taille. Il leur était interdit de pousser leurs investigations plus loin, de compulser les archives des notaires ou de réclamer la production des contrats. » Ces perquisitions, » disait le parlement de Paris dans un arrêt du 22 janvier 1661, « constituent une violation du secret des familles… et sont contre la liberté publique des Français… A la vérité, tous les hommes doivent être taxés selon leurs biens et facultés, mais il n’y a d’autre moyen pour en juger que la commune renommée. »

Ainsi abandonnés à eux-mêmes, obligés de s’en rapporter à la rumeur publique, les collecteurs se trouvaient en fait les maîtres presque absolus de l’imposition des tailles. Responsables du recouvrement qui ne cessait de leur causer des déboires, ils fixaient les cotes selon leur bon plaisir. Les plus honnêtes d’entre eux avaient peine à résister aux sollicitations qui les assaillaient de toutes parts ; les moins scrupuleux ne se faisaient pas faute de favoriser les gens dont ils avaient intérêt à se ménager les