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Il y avait longtemps, à la vérité, que le peuple et même les nobles voyaient cet établissement d’un mauvais œil. L’histoire des dindons du capitaine Laroche était connue de tout le monde ; on racontait que le suisse de la ménagerie avait demandé la survivance des six bouteilles de vin de Bourgogne que l’on donnait, d’après les uns, à un éléphant, d’après les autres, à un dromadaire ; enfin, il n’y avait pas de patriote lettré à Versailles, qui ne connût ce passage de l’Encyclopédie : « Il faut détruire les Ménageries quand les peuples manquent de pain ; car il est honteux de nourrir des bêtes à grands frais quand on a autour de soi des hommes qui meurent de faim. » Aussi, quelques jours après le 10 août, les Jacobins de Versailles, formant la « Société des Amis de la Convention, » pris d’un beau zèle, traversèrent le parc, tambour battant, drapeau en tête, et se dirigèrent vers la ménagerie où ils furent reçus par ce qu’ils appelèrent le « Directeur : » c’était sans doute Laimant. Le chef de la bande déclara que lui et les siens venaient, au nom du peuple et au nom de la nature, le sommer de rendre à la liberté des êtres sortis libres des mains du Créateur et indûment détenus par l’orgueil et le faste des tyrans. Le directeur se déclara prêt à déférer à une sommation qu’il n’avait, d’ailleurs, aucun moyen de repousser ; il crut cependant devoir hasarder une simple observation, à savoir que, parmi ses pensionnaires, il en était un certain nombre tellement inaccessibles au sentiment de la reconnaissance, que le premier usage qu’ils feraient de leur liberté serait, vraisemblablement, de dévorer leurs libérateurs. En conséquence, il croyait devoir décliner ce rôle, en ce qui le concernait personnellement, et offrait à la Société les clés des cages où étaient renfermées les bêtes féroces. Cette proposition fit réfléchir. Un amendement fut aussitôt voté, aux termes duquel les animaux dangereux resteraient provisoirement dans leurs cages. Quant aux animaux inoffensifs : un dromadaire, cinq espèces de singes et encore beaucoup d’oiseaux, ils furent enlevés, la plupart pour être donnés, il est vrai, à l’écorcheur, d’autres pour être mis immédiatement en liberté. Il y avait notamment, parmi ces derniers, plusieurs couples de rats de Java rapportés par La Condamine qui, depuis, pullulèrent à Versailles au point de compromettre par leurs dégâts la solidité du château et d’autres grands édifices. Des cervidés et des oiseaux s’échappèrent et se répandirent dans les bois d’alentour ; un grand nombre y