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ombrages ? Un arbre, un seul, suffira pour vous les donner, celui dont le dôme de verdure semble couvrir l’air fameux et magnifique de Haendel :

 
Ombra mai fù
Di vegetabile
Cara ed annihile
E soave più ?


Plus près de nous, voici les bois que parcourent les chasseurs de Weber, et la petite maison forestière, cachée sous le feuillage, où la blonde Agathe attend, le soir, à genoux et priant pour lui, Max le franc tireur. Sombres forêts ! Ne suffit-il pas de ces deux mots pour évoquer, avec l’admirable et déjà romantique rêverie d’une jeune femme, la succession de paysages grandioses dont le second acte de Guillaume Tell est composé ?

Quittez le théâtre et suivant le conseil sacré, bon pour l’esprit comme pour l’âme, pour l’artiste autant que pour le religieux, « fermez sur vous la porte de votre chambre. » Les feuillets, entr’ouverts au hasard, d’un cahier de Schubert ou de Schumann laisseront venir à vous l’odeur des sapins et des tilleuls allemands. Wagner lui-même, le Wagner du second acte de Siegfried, peut se passer de la mise en scène et du décor, et seul avec le jeune héros, au pied de l’arbre mélodieux, vous comprendrez avec lui la leçon mystérieuse et mélancolique des « murmures de la forêt. »

Prenez encore, après tant de partitions, un livre, un simple roman, les Maîtres sonneurs de George Sand : vous y trouverez plus d’une impression forestière et musicale à la fois. Non seulement des impressions, mais l’idée même ou le sentiment de la musique sous les images de la poésie. Que valent toutes les définitions de l’école auprès de celle-ci, que donne « le Grand Bûcheux, » de nos deux modes musicaux : « Ceux que les savans appellent, comme j’ai ouï dire naguère, majeur et mineur, et que j’appelle, moi, mode clair et mode trouble, ou, si tu veux, mode du ciel bleu et mode du ciel gris, ou encore mode de la force ou de la joie et mode de la tristesse ou de la songerie. » Enfin je ne sais pas de plus sentimentale, ou de plus lyrique, mais de plus juste, plus forte, et plus vaste définition de la musique, que ce couplet d’un petit flûtiot, encore tout enivré de sa flûterie : « Ça parle, ce méchant bout de roseau ! Ça dit ce qu’on pense ! Ça montre comme avec les yeux ! Ça raconte comme avec les mots ! Ça aime comme avec le cœur ! Ça vit ! Ça existe ! Et il y a une vérité dans ce qu’on entend comme dans ce qu’on voit ! »