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LE MONTENEGRO ET SON PRINCE.

sagesse se serrer au tour de leur prince pour réaliser plus de bien encore. Puis il trace un tableau de la situation du Monténégro parmi les nations et rappelle avec fierté les hautes amitiés qu’il a assurées à son peuple. Il en vient enfin à la Constitution :


Cette constitution, j’en suis le père ; un père pourrait-il jamais mutiler son enfant… je demande à mon peuple obéissant et fidèle de régler sa conduite d’après la constitution nouvelle ; qu’il la soutienne et la défende comme il défendrait ma propre personne ; rien ne me serait plus pénible que d’entendre dire : « Dans un moment d’enthousiasme, le vieux prince, s’est trop hâté, considérant son peuple comme plus avancé qu’il ne l’est réellement. » Prenez garde, Monténégrins, que l’on ne puisse jamais dire du mal de vous et du bien de moi, car le peuple m’est plus cher que ma propre. vie et son renom m’est plus précieux que le mien. Si cela advenait jamais, je maudirais ce jour, et la malédiction paternelle est lourde… À la face de Dieu, de tous les anges et de tous les saints et devant l’assemblée de mon cher peuple, je jure de régner fidèle à cette constitution et aux lois et de tendre de toutes mes forces au bien et au bonheur de mon pays[1].


Et, le premier, il prêta serment au milieu d’une immense allégresse populaire.

La proclamation de la Constitution, les élections et les premiers débats de la Chambre révélèrent le travail de désagrégation qui s’opère dans la société, et l’évolution des esprits qui, plus rapide chez les uns que chez les autres, a créé des nuances très sensibles d’opinion parmi les Monténégrins. Malgré la prudence du code Bogisic, les nécessités nouvelles de la vie économique et sociale ont fait craquer les vieux cadres du clan et de la famille. Dans cette décomposition sociale, des mécontentemens ont germé ; ils se sont manifestés par le choix d’un grand nombre de députés opposés aux chefs de clans, indépendans des anciennes « autorités sociales. » La Constitution a été la pierre de touche qui a fait apparaître les tendances et les aspirations de toute une jeune génération qui n’a pas connu les temps épiques où l’on ne vivait que pour la guerre, et qui juge le monde autrement que ne le faisaient les haïduques de l’âge héroïque. Beaucoup de ces jeunes gens ont étudié dans les universités de l’Occident, ils ont voyagé, ils ont pris le goût de la politique, le désir d’acclimater chez eux un régime plus « libéral » et plus « démocratique ; » d’autres ont vécu en Serbie, dans cette atmosphère de Belgrade où fermentent les passions politiques ;

  1. Voyez le discours, ainsi que la proclamation du prince, dans la Revue Slave du mois d’avril 1906.