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pré-Dreadnought, âgés respectivement de moins de dix, douze et quinze ans depuis leur mise en chantier ? » M. Mac Kenna, ministre de la Marine, répondit par l’envoi du tableau ci-dessous :


Bâtimens du type Grande-Bretagne Allemagne États-Unis Totaux pour l’Allemagne et les États-Unis
Dreadnought et Invincible 16 13 8 21
Pré-Dreadnought de moins de 10 ans 9 8 18 26
— — de 12 ans 14 12 13 25
— — de 15 ans 26 18 16 34

On voit par ce tableau que le principe du two powers standard n’est plus respecté ; la flotte anglaise est sensiblement moins forte que les flottes allemande et américaine réunies. Bien plus, l’infériorité numérique de l’Allemagne seule diminue peu à peu. D’ailleurs, dans un combat, des facteurs autres que le nombre sont susceptibles de faire pencher la balance du côté de la marine allemande : les qualités de son état-major, l’unité de sa doctrine, l’homogénéité de ses navires, la valeur militaire de son personnel, etc. Aussi l’on comprend les appréhensions que lord Curzon exprimait à la Chambre des Lords : « Notre suprématie navale a toujours été indécise ; dans les années à venir, nous pourrions trouver qu’elle nous glisse des mains. » Cette manière de voir est partagée par beaucoup d’esprits et par de hautes autorités britanniques ; elle se justifie d’autant plus que l’Allemagne construit plus vite que l’Angleterre et peut devancer la réalisation de ses programmes. Enfin la marine anglaise, avec son mode de recrutement par engagemens volontaires, ne saurait se développer indéfiniment ; on peut donc entrevoir le moment où son extension sera arrêtée par l’insuffisance du nombre des marins, tandis que l’Allemagne, avec le service obligatoire et sa population sans cesse croissante, dispose de ressources, en hommes, pour ainsi dire inépuisables.

Aussi, de l’autre côté du détroit, la crainte d’une invasion des Iles Britanniques est devenue peu à peu une obsession. Lord Raglan n’est-il pas allé jusqu’à dire : « Quand les dirigeables seront capables de traverser les mers, ce pays cessera d’être une île et deviendra une nation continentale. » Ce n’est là qu’une boutade que nous ne discuterons pas ; elle indique néanmoins un état d’esprit particulier.