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L’association portait en soi un germe destructeur ; c’était un sentiment facile à discerner chez Murat. Pour se l’expliquer, il suffit de lire le traité signé à Bayonne le 15 juillet 1808 et par lequel l’Empereur, transférant Joseph en Espagne, avait cédé à Joachim la royauté des Deux-Siciles. Il y était dit, à l’article IV qui stipulait les droits éventuels et successoraux de la reine Caroline, que la cession était faite « surtout en sa faveur. » En présence de cet article, Murat peut croire qu’il a été pourvu d’une couronne moins à raison de ses glorieux services qu’en considération de sa femme. Il peut craindre que celle-ci, mentionnée en termes spéciaux dans le titre d’intronisation, ne prétende à partager en fait l’autorité avec lui ou même à l’accaparer tout entière, à le réduire au rôle de prince époux. Cette idée lui est odieuse. L’idée seule qu’il serait régenté par sa femme ou simplement qu’il passerait pour mené par elle, le met hors de lui. Il tient à exercer effectivement son autorité royale et surtout à l’affirmer. Il est jaloux de sa femme moins en qualité de mari que de roi, et comme il la sait adroite, ambitieuse, prompte à pousser ses créatures et à se faire un parti, comme il la voit gagner à la main dès qu’on lui en laisse la faculté, il se met contre elle en permanent état de méfiance et de défense. Il entend que la personnalité de sa femme s’efface constamment devant la sienne et même se retire dans l’ombre ; de là, des mesures d’injuste exclusion et des procédés déplaisans.

Les journaux napolitains reçurent l’ordre de parler de la Reine le moins possible. Dans le compte rendu des cérémonies de Cour et des fêtes publiques, on la nommait à peine. Participait-elle à un acte de courage ou de bienfaisance, son rôle était omis ou dénaturé. On cherchait à l’isoler de son peuple, à lui faire perdre contact avec ses sujets de quelque rang qu’ils fussent. Dans les débuts, son mari la consultait pour la nomination aux principaux emplois et aux charges de Cour. Peu à peu, il mit une sorte d’affectation à écarter ses protégés. On en vint à la sevrer de relations, à ne lui permettre de recevoir qu’un jour par semaine, à lui infliger des heures de mortel ennui. Pendant l’été de 1809, elle souffrit particulièrement de cette existence confinée, humiliée, si différente de celle que Paris lui faisait. Sans doute, il n’y avait nullement dans le ménage brouille déclarée ; on continuait à se voir, à se parler, à entretenir les rapports d’habitude, mais la Reine se jugeait méconnue et