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En réponse à Descartes, qui assimilait les animaux à des machines, Fontenelle faisait remarquer qu’en mettant ensemble une machine-chien et une machine-chienne, il en naissait une autre petite machine ; tandis qu’en mettant deux montres à côté l’une de l’autre on ne les avait jamais vues se multiplier. C’est peut-être plus spirituel que profond ; mais il n’en est pas moins vrai que rien dans le monde minéral ne peut être raisonnablement comparé à la génération, fût-ce même la cristallisation.

Grâce à cette propriété, on peut dire que la fin de la vie n’est pas la mort ; la vie ne meurt pas. Seul, l’individu meurt et, avant de mourir, il s’est reproduit et la vie continue dans le nouvel être engendré. Pour le physiologiste et le médecin, la vie n’a pas de fin ; elle se continue, d’individu en individu, à travers les générations successives.

À travers cette perpétuité de l’espèce, l’individu lui-même se continue par l’hérédité : cette empreinte héréditaire qui, obscure mais déjà présente dans l’ovule, le développe et le dirige dans une voie donnée et fait reproduire à un individu le type de sa race et trop souvent la maladie de sa famille. C’est là un caractère qui achève de personnifier l’individu vivant en le prolongeant, pour ainsi dire, à travers le temps.

Et, avec le nouvel être qui naît, se ferme et recommence le cercle de la vie, semblable au serpent enroulé dont les extrémités se rejoignent et se continuent, qui n’a ni fin ni commencement, mais qui se perpétue dans une admirable pérennité.

C’est le cercle des coureurs lampadophores de l’antiquité, dans lesquels Platon, Lucrèce et… M. Paul Hervieu ont vu l’image même des générations de la vie : « chaque concurrent courait, sans un regard en arrière, n’ayant pour but que de préserver la flamme qu’il allait pourtant remettre aussitôt à un autre » et qui ne s’éteignait jamais.

L’être vivant est donc une unité à part, qui se distingue de toutes les autres unités vivantes et qui ne se noie pas, comme la matière brute, dans le monde inorganique ; celui-ci n’ayant d’unité que quand on prend l’univers dans son ensemble. Deux blocs de bois ne diffèrent pas plus l’un de l’autre que deux morceaux d’un même bloc de bois, tandis que deux êtres vivans diffèrent entre eux du tout au tout ou au moins sont absolument distincts l’un de l’autre ; ce sont deux individualités.