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Par ces procédés, la police est mise en possession de billets écrits à des hommes illustres par Mme Récamier, par la marquise de Montcalm, sœur du duc de Richelieu, par la duchesse de Duras, par la marquise de Prie, par Mme de Rumford, par d’autres encore. Chateaubriand, qui sait à quoi s’en tenir sur ces procédés que nous considérerions aujourd’hui comme abominables, aura raison de railler dans le Conservateur « cette police qui vient s’asseoir à nos foyers avec une simplicité antique. » Il pourrait même s’en montrer plus courroucé, car nul n’en a été la victime au même degré que lui, si ce n’est Alexandre de Humboldt. Mais Humboldt l’ignore, tandis que Chateaubriand le sait. Il avait à son service un petit Breton, inculte et frais émoulu de son pays, auquel il accordait sa confiance. On a corrompu ce niais et il a ouvert aux policiers toutes les portes et tous les tiroirs de son maître, à qui il est ensuite venu, penaud et repentant, confesser sa mauvaise action.

Combien d’autres serviteurs auraient lieu d’en faire autant et, entre autres, ceux des ambassades étrangères et les courriers qu’elles emploient au transport de leurs dépêches ! Etant donné l’objet de la police politique et le but qu’elle poursuivait, elle ne pouvait laisser les étrangers en dehors de son action. Aussi déployait-elle contre eux ses plus infernales ruses. Des 1815, à la police secrète organisée par les gouvernemens alliés, le gouvernement français s’était hâté d’opposer une contre-police : elle fonctionna jusqu’en 1820, et ce ne fut d’ailleurs qu’un prêté pour un rendu, car ce qu’elle faisait à Paris pour s’éclairer sur les projets des puissances, on le faisait aussi, dans les autres capitales, pour surprendre les desseins du gouvernement français.

Il est cependant douteux que les agens étrangers qui, au dehors, s’efforçaient de pénétrer chez nos ambassadeurs se soient montrés aussi habiles que les nôtres à Paris. L’audace de ceux-ci ne connaissait pas de bornes. Leurs volumineux rapports en font foi ; ils nous fournissent la preuve de leur infatigable activité ; Elle tient vraiment du prodige. On aurait de la peine à y croire si l’existence dans nos archives d’un nombre considérable de papiers diplomatiques échangés entre les cours européennes et leurs représentans ne nous démontrait que, s’ils y sont, alors que telle n’était pas leur destination, c’est qu’on en a pris des copies. De 1815 à 1820, toutes les ambassades et légations sont étroitement surveillées. On entre chez le comte de Goltz,