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des beaux parleurs. Comme dans nos grandes villes du Midi, il y a, à Barcelone, une formidable masse prolétarienne composée des ingrédiens les plus hétérogènes. Quoi qu’il en soit, ce parti a pour lui le nombre, avec le prestige de ses victoires électorales. Mais si sûr qu’il puisse être de sa force, il a dû, bon gré mal gré, se rallier au grand parti national catalan, qui domine tous les autres.

Les Catalans, en effet, se considèrent comme un peuple adolescent, dont la monarchie espagnole a brutalement arrêté la croissance. Ils ont une langue, une littérature, un tempérament et un caractère à part. Ils sont, disent-ils, les plus actifs, les plus riches, les plus cultivés et les plus intelligens. Leur capitale est en pleine prospérité. Ils représentent une force vive, la seule vraie force de toute l’Espagne, au milieu des autres provinces annihilées par l’action niveleuse du pouvoir central. En conséquence, ils revendiquent le droit de vivre et de s’administrer à leur guise.

Les plus exaltés s’en vont répétant : « C’est monstrueux ! Nous sommes un corps vivant lié à un cadavre !… Ah ! si nous étions libres, que ne ferions-nous pas ! » — Et ils vous développent tout un programme d’innovations et de réformes. On commencerait par déclarer Barcelone port franc ; on améliorerait les routes, on multiplierait les chemins de fer ; on réorganiserait la gestion des deniers publics, enfin on créerait des écoles, on inaugurerait un vaste système d’enseignement. Là-dessus, les Espagnols accusent les Catalans d’être des égoïstes et de mauvais patriotes. Et les Catalans de répondre : « De quelle patrie nous parle-t-on ? Nous n’avons rien de commun, ni pour l’esprit ni pour la race, avec les Espagnols ! Eux, ce sont des Sémites, des métis d’Arabes, de Maures et de Juifs (c’est ce qui explique, — ajoutent-ils plaisamment, — leur fanatisme et leur paresse ! ) Nous autres, nous ne connaissons pas d’autre patrie que la Catalogne ! » — Sans doute, ces têtes chaudes exagèrent. Mais lorsque, dans un pays, on en arrive à de pareils dissentimens, il est clair que l’unité nationale est en danger.

La situation est donc inquiétante. Il s’agit, ici, de tout autre chose que de la petite agitation littéraire et archéologique de notre Félibrige. Le mouvement catalan n’est pas seulement littéraire, il est social, politique et, par-dessus tout, national. Alors, où veulent-ils en venir ? Quel sera le terme de tout cela