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ruine, sous les parasols de ses pins et les aiguilles de ses cyprès, unit avec une telle sûreté de goût la pompe de Versailles à la pompe romaine ! Aigues-Mortes la médiévale et son quadrilatère de remparts crénelés, sa lande marécageuse et désolée, — déjà si semblable d’atmosphère et d’aspect à ces villes d’Orient vers qui partaient les Croisés ! Montpellier, avec sa cathédrale, ses vieilles rues noires et ses vieux hôtels, — la merveille de son Peyrou ! Maguelonne et son abbaye ! Cette cité flottante, comme Venise, entre sa lagune, ses canaux et la mer ! Béziers, hérétique et belliqueuse, qui dresse au sommet de sa colline son église farouche comme une forteresse ! Narbonne, rude et violente, appesantie par son gros vin noir, avec son hôtel de ville moyen-âgeux et révolutionnaire, sa cathédrale inachevée, qui surgit comme une carcasse-de navire, au milieu de ses maisons plates ! Perpignan la Catalane, toute dorée et toute rose, parmi les verdures de sa riche plaine qui n’est, d’un bout à l’autre, qu’un grand jardin d’abondance !

Je voue à celle-ci une dilection particulière. Je ne vois que Cette, qui, pour l’agrément des yeux, puisse lui être comparée. … Cette ! une Bruges du Midi ! mais une Bruges vivante ! toute bruyante des tonneaux qu’on roule et des lourds camions qui s’en vont vers le port, égayée par les vergues et les pavillons des navires, les sirènes des remorqueurs, qui filent entre la double rangée des maisons grises, — grises d’un gris vermeil, comme il sied à des maisons heureuses que le soleil visite chaque jour !… Du haut d’un de leurs balcons, assister à l’éveil de l’aube ou à la tombée de la nuit sur la lagune et les canaux, est un spectacle qui égale les plus amoureuses contemplations : caresse de l’âme et des sens, élans vers la beauté fugitive et inexprimable, angoisse devant le mystère de ce qui va naître ou de ce qui va mourir ! Et, tandis que les chariots toujours en marche rebondissent sur le pavé et que le gaz des cabarets s’allume sous vos pieds, on est tout surpris d’être grave, le front ! brûlant et les mains glacées contre le fer de la balustrade, parce que la face incendiée des maisons grises s’est éteinte dans l’eau profonde et noire du canal, entre les quais rigides, qui fuient vers la mer et vers l’ombre immense…

Il ne faudrait pas aller d’une traite de cette à Barcelone. Cet ensorcellement des eaux figées, où la vie se reflète silencieuse et lointaine, vous disposerait mai à comprendre les réalités trop