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toutes sortes, et l’athéisme, entêté et avoué, d’un scélérat du grand monde. La bigoterie peut masquer l’incrédulité tout autant que l’immoralité. Les deux pièces se faisaient suite. Le bloc agressif qu’elles formaient ensemble avait pour effet logique de ne rien laisser subsister du prestige des dévots sur le public, et de l’empire qu’ils prétendaient exercer sur les « honnêtes gens[1]. »

Mais était-ce à ceux des « zélés » que groupait la Compagnie de M. de Ventadour, de Gaston de Renty et de Du Plessis Montbard, était-ce bien à ceux-là, spécialement, que Molière en voulut ?

Notez d’abord qu’il est fort possible que, même avant Guy Patin, même avant Nicole, Molière ait eu vent de l’existence et de l’organisation de notre Compagnie.

Lorsque Jean-Baptiste Poquelin se fit comédien, on sait que ce fut près de la porte de Nesles, dans la vieille salle du Jeu de Paume des Mestayers, que la dizaine d’« enfans de famille » dont il était le chef s’installa en 1644. Or, dès la fin de l’année, la jeune troupe résilie son bail et « déménage au galop »[2]pour aller tenter fortune sur l’autre rive de la Seine. « Les résultats de la première saison avaient été lamentables. » Pourtant les programmes étaient alléchans : tragédies des meilleurs faiseurs, Tristan l’Hermite, Du Ryer, Desfontaines, interprétées par Madeleine Béjart, « dans les rôles passionnés de l’impératrice Fauste et de l’héroïque Epicharie. » Oui, mais le Jeu de Paume des Mestayers était sur la paroisse Saint-Sulpice, où M. Olier menait alors grand train une énergique réforme des mœurs : l’Illustre Théâtre s’était vu déserté des « grands » comme des « petits, » parce qu’il était mis à l’index. Quelques mois plus tard, Molière quittait définitive nient Paris et s’en allait courir les provinces pour treize ans. S’il y resta si longtemps, c’est, — selon le biographe de M. Olier, — qu’il attendit pour revenir à Paris la

  1. « Qu’est-ce que signifie la fin de Don Juan, » disait en 1906 (l’Anticléricalisme, p. 69-71). M. Faguet, — je suis heureux d’abriter des hypothèses affirmatives derrière son opinion prudente et ferme, — « sinon, d’une part, que la méchanceté, le libertinage, la débauche mènent premièrement à l’athéisme, secondement à l’hypocrisie religieuse ; sinon, d’autre part, que le parti religieux se recrute parmi les Tartufe, parmi les imbéciles comme Sganarelle, et aussi parmi les débauchés, corrupteurs et scélérats quand ils sont devenus prudens ? N’est-ce pas cela que le public de Molière peut comprendre, doit sans doute comprendre et est presque forcé de conclure, » si ce n’est pas « ce que Molière a voulu faire entendre, car je n’en sais rien. » — L’histoire des hommes et des actes de la Compagnie du Saint-Sacrement nous permettent, ce me semble, de croire que nous en savons un peu plus.
  2. G. Lafenestre, Molière, p. 16.