Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme, comme vous avez vu passer Mme de Custine. J’étais destiné à voir revenir deux cercueils de cette terre où vous respirez et où votre bonté pour moi promettait des consolations à ma vie. Au moment où je vous écris, j’ai envoyé savoir des nouvelles de mon admirable et ancienne amie, et peut-être vous apprendrai-je, avant de fermer cette lettre, l’arrêt fatal. »

Le 18 janvier, Mme de Duras expirait. Le 26 décembre, elle s’était fait relire son testament de 1820 : elle léguait au « cher frère » une copie de la Sainte Famille de Raphaël, par Mignard, une copie de son portrait, et la pendule de son cabinet, — celle qui, tant de fois, avait sonné ce qu’ils appelaient « l’heure sacrée, » et qu’elle avait fait arrêter en 1822, « pour ne plus entendre sonner les heures où il ne viendrait plus. »

Le 3 février 1828, Chateaubriand répondait en ces termes aux condoléances de Mme de Cottens :

« Je vous remercie, madame ; ma peine est profonde, et beaucoup plus que je ne le dis et ne le veux et ne puis l’exprimer. Mme de Rauzan [Clara] arrive aujourd’hui ; ne sais si j’aurai le courage de la voir. Dieu, au reste, est pour tout cela dans notre vie ; et que ferions-nous, sans ce dernier et impérissable appui ?

« Je vous remercie encore : dites aussi à Mlle de Constant que je prends part à sa douleur comme elle a la bonté de prendre part à la mienne. »

Et en 1839, il écrivait enfin dans les Mémoires d’Outre-Tombe :


Depuis que j’ai perdu cette personne si généreuse, d’une âme si noble, d’un esprit qui réunissait quelque chose de la force de la pensée de Mme du Staël à la grâce du talent de Mme de La Fayette, je n’ai cessé en la pleurant de me reprocher les inégalités dont j’ai pu affliger quelquefois des cœurs qui m’étaient dévoués. Veillons bien sur notre caractère. Songeons que nous pouvons, avec un attachement profond, n’en pas moins empoisonner des jours que nous rachèterions au prix de tout notre sang. Quand nos amis sont descendus dans la tombe, quel moyen avons-nous de réparer nos torts ? Nos inutiles regrets, nos vains repentirs sont-ils un remède aux peines que nous leur avons faites ? Ils auraient mieux aimé de nous un sourire pendant leur vie que toutes nos larmes après leur mort.


Si Mme de Duras avait pu lire ces lignes, de quel cœur elle eût pardonné à René toutes les « inégalités » dont il l’avait fait souffrir !


VICTOR GIRAUD.