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supérieures à colles de l’hôpital Hamidié. Je calme un peu cette joie en expliquant que l’on remédiera bientôt à une organisation défectueuse, que des écoles seront fondées, que les salaires seront relevés, que le métier sera rendu plus honorable et même plus attrayant pour tenter les jeunes filles pauvres de la bourgeoisie.

Nous suivons des couloirs blancs, où glissent les servantes comme des ombres, et nous visitons les salles de pansemens, les salles de bains, les lingeries. Sélika dit fièrement :

— Moderne, tout moderne… Il y a l’électricité, la radiothérapie, les laboratoires pour les analyses, tout, tout. Ça coûte énormément d’argent, mais c’est tout moderne.

Oui, il y a des appareils d’électrisation et de radiothérapie ; il y a des collections d’instrumens innombrables et coûteux ; il y a du ripolin partout ; il y a des médecins habiles, formés dans les grandes facultés d’Europe, mais peut-être cette correcte façade modern-style, cet argent dépensé, n’empêchent-ils pas les revanches de l’incurie orientale. La salle de bains… hum !… n’en parlons pas… Dans les coins de certaines pièces, traîne, parfois, du linge qui a servi. On ne sent pas la surveillance intelligente, l’ordre, la régularité, la propreté minutieuse des religieuses de l’hôpital français. Les chambres des servantes, meublées d’un lit de fer, d’une table, d’une armoire, sont gaies et confortables, — mais, dans l’une, on montre des traces suspectes sur le mur.

— C’est un obus qui est entré là, par la fenêtre, — explique la jeune fille. — Il a emporté la tête d’une pauvre servante, et la cervelle s’est écrasée contre le mur. On voit encore la marque, le sang… Et puis là, dans le couloir, il y en a aussi, de la cervelle…

Il y en a. Il y en aura encore dans six mois peut-être, ou dans un an. On n’est pas pressé de nettoyer le mur… Cette cervelle écrasée ne gêne personne, après tout. C’est un document, une curiosité.

Dans les cellules qui ouvrent sur le corridor, sont logés les officiers blessés. Nous entrons dans la plus proche. Un jeune homme, en uniforme, est assis sur le lit, et parcourt un journal. La petite table auprès du lit supporte un verre d’eau où baignent des roses, et un buste de Napoléon Ierque je ne m’attendais pas à trouver là !