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ridicules et voici que les pompes funéraires deviennent déplacées. Les piétons, éclaboussés et respectueux devant les anciens carrosses à chevaux, regardent d’un œil sourcilleux les nouveaux carrosses à pétrole, et seul un autobus peut écraser quelqu’un impunément. Parmi les manifestations antiques de la richesse, beaucoup flattaient seulement la vanité ; à ce titre elles n’étaient parfaites qu’à la condition d’être publiques et montrables. Ces jouissances disparaissent ou s’atténuent fort dès qu’on cesse de les afficher et qu’il les faut goûter à huis clos.

Puisqu’il n’en a plus d’autres, le riche devra s’en contenter : il y voyait clair avec ses deux lampes Carcel et son lustre de vingt-cinq bougies de stéarine, il y verra plus clair avec cinquante lampes électriques dont chacune a l’intensité de vingt bougies. Il avait des assiettes et des couverts d’argent, mais en petit nombre, et il n’en changeait pas à chaque plat ; son argenterie sera plus abondante, ses porcelaines et ses cristaux fragiles exigeront plus de frais annuels qu’une inusable vaisselle plate Le loyer de son appartement, dans un quartier élégant de Paris, viendra s’ajouter à l’achat et à l’entretien d’une maison de campagne.

S’il voyage, ce ne sera plus à la distance de 20 lieues, mais à 200 ou à 1 000, et ces déplacemens, jadis rares, se renouvelleront plusieurs fois par an. La toilette de Monsieur coûtera moins qu’il y a deux siècles ; mais, si Madame est coquette et se sert des grands faiseurs, elle se chargera de doubler en définitive le chapitre consacré à l’habillement par le ménage. Si ce ménage est fastueux pour sa table, s’il s’y fait servir des asperges en janvier à 40 francs la botte ou des vins de premiers crus à 1 000 francs la pièce, s’il y veut voir des orchidées rares, renouvelées en permanence, il peut égaler avec peu de convives la dépense des tables d’autrefois avec leurs amas de chairs alignées en de multiples bassins. Si l’un des membres de la famille est malade ou doit subir une opération, et que l’on ait recours aux soins des praticiens le plus en renom, les honoraires seront dix ou vingt fois plus hauts que ceux dont se contentaient les médecins et chirurgiens du passé.

Telles seront, avec beaucoup d’autres, les nouvelles manières pour le riche de dépenser son superflu. Quelle en est, je ne dis pas l’utilité, mais simplement le charme positif ? Qui ne voit combien il est réduit, et combien les jouissances sont vaines pour