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philosophie entraîne à rester des abstractions, et dont la musique peut équilibrer l’humanité par le sentiment ; aux visions parmi lesquelles le poète les promène, si extraordinaires que toute parole leur reste inégale, et que la représentation n’en serait admissible qu’enveloppée de la splendeur significative des sons.

Des personnages, nous ne retrouverions réellement quelque chose, — quelque chose de bien vague et de bien fugace, — que dans le premier de tous les opéras de Faust, qui pourtant ne doit presque rien de son intrigue au Faust de Goethe. La partition du vieux Spohr nous ennuierait doucement aujourd’hui. C’est l’œuvre d’un esprit distingué, mais d’une faible imagination ; l’expression y est presque toujours juste, elle n’est jamais persuasive ; les idées, volontiers chromatiques, ont du charme, mais elles sont ternes et courtes, sans relief et sans accent : le pouvoir représentatif leur manque. La recherche de l’harmonie, du mouvement scénique, de la coupe souvent assez libre des morceaux[1] est intelligente ; mais la spontanéité, plus encore que la personnalité, fait défaut. Cette musique estimable s’essaye sans audace à la couleur et à l’action, en même temps qu’elle maintient la tradition morale du classicisme allemand : elle commence d’indiquer la voie où s’avancera Weber. Soutenue par le rythme, — ceci, même dans la période, — elle est intéressante par le rôle de l’orchestre, important et déjà intentionné. Spohr a le pressentiment de l’unité d’une scène, et qu’on en peut établir la trame sur le développement, ou la simple persistance d’un rythme, sinon d’un véritable motif.

Quant au livret, romanesque et puéril, certes la valeur en est mince. Ce Faust, un peu mâtiné de don Juan, est pourtant le seul qui [garde sur la scène lyrique quelque caractère. Dès le début, il philosophe assez congrûment avec Méphistophélès. Quand celui-ci lui remet sa puissance : « Je veux te battre, s’écrie-t-il, avec tes propres armes, et les employer au bien. Je veux enrichir le dénuement, je veux que la joie soulage la misère humaine, et que la douleur soit oubliée. » Cela vaut bien :


A moi les plaisirs,
Les jeunes mal tresses !…
  1. Voyez au premier acte le duo avec chœur de Faust et de Franz, et surtout le terzetto, original et fort joli, de la forêt ; au second acte, certains passages de la scène afantastique avec Sycornx, et le sextuor.