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et des verres dans une vasque ancienne, à demi recouverte par le nouveau plancher du parterre. C’est un va-et-vient étourdissant de marchands de cacouettes, de noisettes, de pistaches, d’amandes grillées, de pois chiches et de bonbons…

Les trois coups réglementaires retentissent. Le rideau s’écarte, et, comme un seul homme, toute l’assistance se lève, tandis que, sur la scène, la troupe au complet entonne l’hymne impérial : « Louange à Dieu ! et longue vie au Sultan Abd-ul Hamid ! » Puis, cette formalité officielle accomplie, on se rassied » et la pièce commence… Premier décor : une salle à manger moderne, telle du moins que peut la concevoir une imagination levantine.

Endimanchée d’une robe de satin rose, une maigre Juive pleurnicheuse et criarde y soutient une conversation avec une jeune bonne en tablier à bavette. Survient un pénitent drapé dans une cagoule qui congédie les deux femmes et qui se précipite au-devant d’un druide, vieillard vénérable à barbe de fleuve. Leurs propos, d’abord courtois, tournent à l’aigre, on se querelle, on s’injurie. Finalement, le Pénitent en cagoule soufflette le Druide… Qu’est-ce que tout cela signifie ? Où sommes-nous ? À quoi rime cette salle à manger de ménage pauvre, cette Juive et sa bonne, ces deux barbons en costume de carnaval ?… Peu à peu, en attrapant des mots au vol, en suivant, tant bien que mal, l’intrigue, quelle n’est pas ma stupeur de constater que j’assiste, — ce soir de rhamadan, à Damas, dans la cité des Khalifes — à une représentation du Cid de Corneille ! Oui ! notre Cid français traduit en vers arabes !… Plus de doute ! Voici Rodrigue, la taille guêpée dans un pourpoint vert pomme, en culotte rose tendre et en bottes chantilly. La Juive en jupe de satin, c’est Chimène, et la jouvencelle que j’avais prise pour la bonne, c’est Elvire, sa confidente. Le Druide n’est autre que don Diègue, et le Pénitent noir représente le comte de Gormaz !… À mesure que la pièce se poursuit, mes présomptions se transforment en certitudes, et mon ahurissement redouble. Je reconnais mes personnages classiques sous des travestissemens invraisemblables : ce qui n’est pas toujours commode. Ainsi, maintenant, voici que des fanfares éclatent : un cycliste paraît, en bottines lacées, culotte courte et maillot. On s’incline devant lui, on le fait asseoir sur un fauteuil avec de grandes marques de respect : c’est le roi de Castille, don Alphonse ! Pour achever