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affaire. Le principal mérite en revient à M. Pichon, notre ministre des Affaires étrangères, et à M. Jules Cambon, notre ambassadeur à Berlin. L’heureuse activité de ce dernier n’a pas peu contribué au succès : le gouvernement lui en a adressé officiellement ses félicitations. Du côté allemand, nous devons nommer avec reconnaissance M. de Schœn à Berlin et le prince de Radolin à Paris. Mais le crédit dont nous jouissons en ce moment en Europe ne tient pas seulement à notre sagesse et à notre modération ; nous le devons aussi à notre allié, à nos amis, au ferme et loyal concours que, dans toutes les circonstances, ils n’ont pas manqué de nous donner. La France a été longtemps isolée en Europe ; elle ne l’est plus, et cette situation nouvelle, dont elle aurait pu être tentée d’abuser, lui a apporté des forces qu’elle a constamment appliquées à l’intérêt de la paix. Nous n’avons rien négligé pour servir cet intérêt partout où il pouvait être en cause, et en particulier dans la péninsule des Balkans. De là viennent l’autorité qu’on nous reconnaît et la sympathie qu’on nous témoigne. La France ne saurait plus être traitée comme une puissance avec laquelle on peut tout se permettre. On sait bien qu’elle ne l’accepterait pas ; elle en a donné la preuve ; mais on sait aussi que le sentiment général lui est favorable, et c’est là pour elle une garantie de plus. C’est à cet ensemble de forces matérielles et morales que nous devons les facilités plus grandes de notre politique, et la considération, plus grande aussi, qui nous est témoignée.

Peut-être y a-t-il un danger dans les facilités dont nous venons de parler : nous espérons bien que notre gouvernement saura y échapper. Il y a chez nous un parti qui n’a pas toujours été aussi prudent et aussi mesuré qu’il l’aurait fallu dans les affaires marocaines, et c’est probablement à ses légèretés de conduite ou de parole que nous avons dû plusieurs de nos embarras. Ce parti existe toujours, et son caractère ne s’est nullement modifié. On peut craindre qu’en apprenant notre accord avec l’Allemagne, il ne cherche à pousser le gouvernement dans la voie des aventures. A l’entendre, le seul obstacle que nous ayons rencontré jusqu’ici au Maroc est de l’ordre diplomatique ; il venait de l’opposition de l’Allemagne ; si cette opposition cesse, nous n’avons qu’à aller de l’avant et jusqu’au bout. L’opposition de l’Allemagne s’efface, soit ; mais nous le devons surtout à notre sagesse, et le jour où cette sagesse disparaîtrait, la confiance qu’elle a inspirée risquerait fort de disparaître en même temps. Et quand même l’Europe entière nous donnerait carte blanche ; quand même, après s’être réservé l’égalité dans les profils, toutes les