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hausse parallèle des salaires. Or, la journée de l’ouvrier n’a pas augmenté. A Louqsor, un de nos compatriotes m’avouait que les Arabes employés aux fouilles ne recevaient pas plus de trois piastres par jour, — soit environ soixante-quinze centimes. J’accorde que leur travail est extrêmement grossier. Mais comment ces malheureux s’arrangent-ils pour vivre dans une ville où les voyageurs cosmopolites rivalisent de prodigalités ? Les hôteliers, les âniers et les drogmans, font des affaires d’or. Eux, les pauvres diables, avec leurs trois piastres, ils n’auront bientôt plus la ressource, comme dans l’histoire copte, de se régaler d’une pastèque, puisque, cette pastèque, un touriste américain s’amuse, sous leurs yeux, à en donner cinq francs au marchand de légumes, pour le simple plaisir d’étonner la galerie.

Ainsi s’expliquent et se justifient, en somme, les récriminations des nationalistes égyptiens contre les usiniers et les entrepreneurs européens ou levantins, — et aussi contre l’administration khédiviale (lisez : l’administration anglaise), qui ne fait rien, disent-ils, pour remédier à la situation précaire du peuple travailleur. Poussant le tableau au noir, ils prédisent, dès maintenant, les pires catastrophes. Déjà des velléités de révolte semblent se dessiner dans le prolétariat oriental. Çà et là, des grèves ont éclaté : grève de typographes à Alexandrie, grève des employés de chemin de fer à Haïdar-Pacha, grève des ouvriers du port à Galata, grève des employés de tramways à Stamboul !... Est-ce à dire que l’esprit socialiste commence à s’introduire dans ces pays ? Ce serait forcer les faits que de le conclure. Presque tous les grévistes dont il s’agit ici sont des Chrétiens, des Arméniens ou des Grecs, qui ont reçu au moins quelques rudimens d’instruction européenne. Par leur mentalité, ils sont très supérieurs à la masse populaire. D’ailleurs les journalistes jeunes-turcs ou jeunes-égyptiens reconnaissent eux-mêmes que l’antagonisme de classes n’existe pas encore en Orient. Néanmoins, il est incontestable que des symptômes alarmans se produisent même dans les couches profondes de la population islamique. L’envahissement de la civilisation leur a rendu la lutte pour l’existence singulièrement plus difficile qu’autrefois. Voici que nous les forçons à travailler. Or, chez eux, bien plus qu’en Europe, le droit au travail est loin d’être égal pour tous.

Cette plèbe, dans son ensemble, est extraordinairement divisée