Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Egypte, dans les milieux non musulmans. Dès mon arrivée au Caire, on m’en parla avec des haussemens d’épaules, et à peu près dans les mêmes termes que des Jeunes-Turcs, à Constantinople : « Ce n’était pas sérieux ! Ce prétendu parti nationaliste se composait d’une minorité ridicule autant que remuante : de plats intrigans ou des vaniteux affolés de réclame ! Quant à son chef, Mustafa Kamel Pacha, il y en avait long à dire sur son compte ! Le moins qu’on pût lui reprocher, c’était son manque de sincérité. En somme, un cabotin sans conviction, qui ne se préoccupait guère du rôle à jouer, pourvu que ce rôle fût éclatant et le mît en vedette !… »

Les gens qui me tenaient ces propos n’étaient certes animés d’aucune haine personnelle contre le leader du parti nationaliste. En me le rabaissant, en niant l’importance de sa personne et de son parti, tous ces gens-là, — Anglais, Français, Grecs, Syriens et Coptes, — obéissaient à un élémentaire instinct de conservation : ils pensaient défendre leur influence, leur intérêt, et même leur sécurité, que le développement du nationalisme musulman aurait, d’après eux, compromis. Et ils étaient de bonne foi, en lui refusant toute importance. Ce nationalisme ne pouvait pas, ne devait pas exister pour, eux, du moment qu’il les gênait. La conspiration du silence était le plus sûr moyen de l’étouffer à ses débuts. J’écris cela sans raillerie : il est certain que ces adversaires de la Jeune-Egypte avaient raison à leur point de vue d’Européens et de Chrétiens. Intéressés directement dans la question, il est trop naturel qu’ils l’envisagent autrement qu’en purs spéculatifs.

D’autre part, les Musulmans en général, — et surtout les fonctionnaires, — se montraient fort réservés sur ce sujet : ce qui se comprend aussi. On ne se confie pas de prime abord à un étranger de passage, dont on ignore quelles sont au juste les intentions. Alors, je me résolus à saisir, comme on dit, le taureau par les cornes : sans pousser plus loin mon enquête, j’allai voir tout de suite Mustafa Kamel Pacha.

Notre entrevue fut facilitée et rendue immédiatement plus cordiale, grâce à une lettre de recommandation dont Mme Juliette Adam avait bien voulu me munir. Le chef du nationalisme égyptien, qui était en même temps directeur du journal El-Lewa, me reçut dans son cabinet directorial. Qu’on ne se représente pas cet endroit-là d’après nos bureaux de rédaction parisiens !