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temps, celles qui ont rendu légendaire, chez nous, le serviteur de famille. Même les Syriens musulmans excitent de semblables éloges. Je me souviens de l’émotion attendrie avec laquelle m’en parlait un hôtelier bavarois. C’était à Balabek, où domine l’élément chrétien. Il me disait : « Ah ! monsieur, comme ouvrier, comme domestique, il n’y a que le mousslim, le bon mousslim ! Tous ces chrétiens sont des canailles I »

Malheureusement, l’inertie du mousslim, son horreur instinctive du changement et sa règle pratique du moindre effort le rendent impropre, en général, à toutes les professions qui réclament un peu d’activité, d’habileté et de prévoyance. En Egypte, comme ailleurs, la majorité des petits commerçans se compose de Chrétiens et de Juifs. Dans cette tourbe rapace, les Grecs sont assurément les plus nombreux et aussi les plus heureux en affaires. Cafetiers, gargotiers, coiffeurs, épiciers (le bakal grec est un vrai type populaire), ils envahissent à peu près tous les négoces inférieurs. Pourtant, ils ont à se défendre contre de rudes concurrens : l’Arménien d’abord, dont la souplesse et l’astuce sont, à bon droit, célèbres, et, de plus en plus, le Persan, — le Persan musulman, qui, par son âpreté au gain, est en train de se rendre aussi odieux à ses propres coreligionnaires que leurs exploiteurs chrétiens. Mais rien ne prévaut contre la ruse du Copte. Celui-ci dame le pion à tous les autres. On prétend, au Caire, que, pour enrayer, dans une localité, la contagion hellénique ou juive, rien n’est souverain comme d’y introduire un peu de virus copte. Il est tellement efficace, ce virus, que, paraît-il, les microbes ennemis désertent la place dès son apparition. D’ailleurs les Coptes eux-mêmes se glorifient volontiers d’être, sans comparaison possible, les plus malins des commerçans et les plus avisés des calculateurs. L’un d’eux, pour me prouver la supériorité des gens de sa race sur les Juifs, me conta l’histoire suivante, qui est proverbiale en Egypte. Un marchand juif arrivé dans une ville, avec son domestique et son âne, remet une piastre au serviteur (environ vingt-cinq centimes) pour acheter des provisions. Il s’agissait de nourrir, là-dessus, le maître, le domestique et l’une. Comment faire, avec une somme si minime ? Le pauvre Juif, désespéré, confie son embarras à un Copte qui passait. — « Rien de plus facile ! dit celui-ci : donne-moi ta piastre ! » Pour deux millièmes, le Copte achète un pain ; pour deux autres millièmes, une énorme pastèque. — « Tu