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moins vrai qu’en Egypte, comme un peu dans tout l’Orient, l’ouvrier des villes s’efforce d’améliorer sa technique au contact de l’ouvrier européen, qu’il essaie de lui faire concurrence et que, souvent, il y réussit. La tentative vaut ce qu’elle vaut : l’essentiel est qu’on puisse la constater. Et c’est malheureusement ce que ne veulent jamais admettre les Européens de là-bas, accoutumés qu’ils sont à ressasser des lieux communs sur la stagnation orientale, — ou encore parce qu’ils exigent de ces travailleurs mal dégrossis une perfection qui dépasse leur degré de culture.

Où la critique trouverait plus équitablement à s’exercer, ce serait sur le chapitre de la domesticité, qui n’a pas dû changer beaucoup depuis l’époque patriarcale de l’esclavage. Les indigènes souffrent beaucoup moins que nous de sa routine et de son insuffisance, parce qu’ils y sont habitués. Et cependant, les usages d’Europe s’introduisent de plus en plus chez les gens des hautes classes. Comment concilient-ils leur service archaïque avec leur nouveau train de maison ? Il n’est pas commode, pour un voyageur, de se renseigner de visu sur ce sujet, puisque les intérieurs musulmans nous sont fermés, — sauf le sélamlik, le salon banal, où l’on reçoit tous les étrangers. D’autre part, les dames européennes, qui sont admises dans les harems, se font une maligne joie de dénigrer tout ce qu’on leur montre. Elles ne tarissent pas sur la paresse et la nullité des femmes, sur leur insouciance et leur désordre, le gaspillage et le gâchage qui règnent dans toutes les maisons, et, par-dessus tout, sur l’ignorance, la maladresse, la fainéantise et la malpropreté des domestiques. Si l’on interroge une institutrice ou une nurse anglaise, c’est encore pis. Toutes ces dames voudraient qu’une maison orientale fût ordonnée exactement comme les leurs ou comme celles de leur pays ; et précisément parce qu’elles y entrent avec des préventions irréductibles, elles sont souvent fort mauvais juges. Néanmoins, il faut bien que la négligence y soit extrême pour que des Orientales elles-mêmes en soient choquées. J’ai entendu des religieuses syriennes, des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, s’exprimer très sévèrement sur les maisons musulmanes où elles avaient séjourné en qualité d’infirmières. A les en croire, l’anarchie domestique y était scandaleuse.

Au fond, les maîtres en sont coupables au moins autant que