Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inclinait à détruire l’œuvre essentielle du dernier règne. Et ces raisons se conciliaient avec le vœu secret de son égoïste vieillesse : assurer la paix du moment, fût-ce au prix du péril futur, et se créer une popularité immédiate et facile. « Je ne veux pas être traîné sur la claie pour les affaires de M. de Maupeou, » répétait-il d’un ton de badinage. A d’Amécourt, qui lui recommandait une solution moyenne et conciliante, il faisait cette réponse qui le peint tout entier : « Mon ami, il ne faut pas chercher ici quid melius, mais quid facilius[1]. »

Prudent toutefois, et connaissant les hommes, il se gardait de brûler ses vaisseaux. « Je n’ose prendre sur moi de faire des ouvertures au Roi et de lui parler en manière quelconque des parlemens, » disait-il à Augeard. Sur quoi, tous deux, de compagnie, dressaient le plan habile et compliqué dont voici les grandes lignes. C’est au Duc d’Orléans, « parlementaire dans l’âme, » qu’il serait réservé d’attacher le grelot. Ce prince, dûment stylé, demanderait une audience au Roi, sans indiquer l’objet de cette requête ; au cours de l’entretien, dont Maurepas préparerait les voies, la grande question serait soulevée, et le Duc d’Orléans proposerait à Louis XVI de lui adresser un mémoire où seraient exposées ses vues. Cet écrit, que le Roi ne manquerait sûrement pas de soumettre à Maurepas, donnerait à celui-ci l’occasion naturelle de rouvrir le débat et de discuter le rappel de l’ancien parlement, sans éveiller les soupçons de son maître.

Ainsi fut fait. L’audience eut lieu ; le mémoire, rédigé par l’avocat Lepaige, fut remis à Louis XVI par le Duc d’Orléans. C’était un plaidoyer d’un ton confidentiel, où l’infortune de tant de magistrats languissant encore en exil était décrite en termes pathétiques, qui émurent fortement la sensibilité royale. Maurepas, consulté par Louis XVI, comme il l’avait prévu, feignit de contester les conclusions absolues du mémoire, mais il le lit avec mollesse, et souvent, depuis lors, dans leurs entretiens tête à tête, il appuyait auprès du prince sur le mauvais renom de la magistrature nouvelle, s’efforçait, à mots couverts, de déconsidérer Maupeou et sa « séquelle. » Le séjour à Marly, dans la seconde quinzaine de juin, fut employé presque entièrement à cette besogne souterraine.

Tout marchait au gré du ministre, quand une indiscrétion

  1. Souvenirs de Moreau.