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faire viser leur tezkéré, avaient envahi l’escalier du local. J’avoue qu’ils se bousculaient fort et avaient l’air de grimper à l’assaut du premier étage. C’était à qui passerait sur le ventre du voisin... Soudain, deux agens parurent en haut de l’escalier, et, à coups de poing, à coups de plat de sabre, ils se mirent à refouler la cohue. Il y eut une panique, quelques cris de douleur, des chutes, des gens piétines. Mais, en moins de deux minutes, un ordre relatif était rétabli. Au fond, c’est la bonne méthode, et, pour le moment du moins, la seule possible. J’en eus la preuve, quelques jours après, sur un bateau des Messageries maritimes. Comme je me promenais sur le pont avec le commandant, nous fûmes subitement débordés par une horde de passagers de quatrième, des Syriens et des Juifs, qui, en dépit des règlemens, s’étaient évadés hors des barrières de l’avant. Le commandant ne leur dit rien ; il appela un homme de l’équipage, un gros Marseillais jovial et bon enfant. Celui-ci, jouant des coudes, distribuant des horions aux hommes, des tapes amicales aux femmes, le tout égayé de jurons et de galéjades, fit reculer aussitôt les intrus. Moitié riant, moitié grognant, ils battaient en retraite, amusés en somme par ces bourrades qui tournaient au colin-maillard... « Et voilà ! me dit le commandant. Si je leur avais envoyé un gradé, un personnage à galons, qui, d’un air digne et d’un ton sévère, les eût invités au respect du règlement, d’abord ils n’auraient pas compris. Et puis cela les eût mortifiés, et ils auraient opposé de la résistance. Tandis qu’avec ce système paternel, c’est fini tout de suite, et chacun est content ! »

Méprisés par les gens de condition supérieure, ces misérables se méprisent entre eux, et le sexe fort accable le sexe faible. Le mépris qu’ils ont de la femme est une des singularités qui nous frappe et qui nous choque le plus dans leur caractère. Non seulement, ils ne leur épargnent pas les mauvais traitemens, mais ils abusent de leur jeunesse. On sait qu’une fillette de douze ans peut être mariée à un individu de quarante. Les mères elles-mêmes poussent leur progéniture à ces unions monstrueuses. D’abord, il y a l’appât de la dot que le mari verse aux parens en échange de la victime. Et puis, la promiscuité où vivent les enfans est si dangereuse que, dès les premiers signes de la puberté, les mères n’ont plus de repos qu’elles n’aient marié leurs filles. Qu’une entremetteuse se présente, elle est