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décès[1], dans quelques centres, la peste règne à l’état endémique : d’où les quarantaines, fort désagréables, et souvent arbitraires, auxquelles les autorités ottomanes astreignent les bateaux de provenance égyptienne. Ailleurs, sévissent des maladies locales si tenaces, si réfractaires à toute mesure préventive, qu’à la longue, elles ont passé dans le sang et comme dans les habitudes des indigènes. Tel est, par exemple, le fameux « bouton d’Alep, » qui peut être mortel pour les étrangers et que les naturels du pays subissent à peu près impunément, — comme nous subissons la rougeole : ce qui tendrait à justifier la théorie de la vaccination automatique. Mais le remède est chanceux. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, dans toutes ces villes malsaines de l’Orient, il se fait un gâchage lamentable d’existences.

Les nourritures, presque toujours insuffisantes et de mauvaise qualité, sont une nouvelle cause de dépérissement. Les femmes, principalement, ont à en souffrir. Si nos sociologues gémissent, à bon droit, sur l’alimentation souvent défectueuse de l’ouvrière parisienne, que diraient-ils de la femme orientale, — j’entends de la femme du peuple, — qui est littéralement affamée par son mari ? Il est vrai que les hommes ne sont guère mieux nourris. Un pain, ou une galette, fabriqués avec des farines inférieures ou adultérées de farines de fèves et de haricots, — voilà à peu près tout leur repas. Pendant la saison chaude, ils se rattrapent sur les crudités, les pastèques, les tomates et les pimens, dont ils font une consommation immodérée. Or, ces légumes ou ces fruits, très rafraîchissans, sont à peine nutritifs. Sauf à l’époque du Beïram et à l’occasion des autres grandes fêtes, ils mangent fort peu de viandes, et encore des viandes, la plupart du temps, suspectes. C’est un écœurement, pour nous autres Européens, que l’aspect de ces boucheries populaires, où des bas morceaux de buffle ou de mouton bleuissent au bout d’un croc, mal défendus par un chiffon de cotonnade rouge contre les essaims de grosses mouches putréfiantes. Et qui ne se rappelle, avec répugnance, ces revendeurs de mous et de tripes, que l’on voit déambuler dans les rues de Stamboul, balançant, au long d’une perche, leur hideuse marchandise ?... Sans doute, le climat n’oblige pas l’habitant à une réfection aussi substantielle que

  1. Nous tenons ces renseignemens, avec quelques autres, de l’obligeance de M. Eyoub Remeid, un des jeunes publicistes les plus distingués du Caire.