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du Liban ou de la Bekka, on est surpris d’y rencontrer de fort belles maisons eu pierres de taille, percées de larges ouvertures ogivales et surmontées d’une coupole ou d’une terrasse. Mais la plupart de ces maisons ont été construites par des Syriens revenus d’Amérique, après y avoir amassé quelque argent. C’est une manière d’étaler leur petite fortune aux yeux de leurs compatriotes. Les gens qui s’offrent ces confortables bâtisses étant à demi façonnés aux mœurs occidentales, leur exemple ne prouve pas grand’chose pour les naturels du pays. D’ailleurs, même chez ces déracinés, les habitudes anciennes reparaissent, dès qu’ils se replongent dans le milieu natal. Ils ont bien, pour la montre, une ou deux pièces meublées à l’européenne et qu’ils s’empressent d’exhiber à l’étranger. Mais il ne faut pas pénétrer plus loin. Derrière ce décor trompeur, se cache la vie réelle de l’habitant, c’est-à-dire la vie orientale dans toute son incurie et sa rudesse primitive. En arrivant à Bethléem, où foisonnent les maisons cossues payées par l’argent américain, je pressentis tout de suite la saleté des intérieurs, avant même d’en avoir franchi le seuil. C’était à la messe de minuit, dans l’église des Capucins, où toute la population bethléémitaine était entassée, les hommes debout, les femmes et les enfans accroupis parterre sur des nattes. Une puanteur terrible et d’abord indéfinissable saturait l’atmosphère. Pourtant, les vêtemens de ce peuple étaient immaculés, éblouissans de blancheur. En l’honneur de la Nativité, ils avaient fait une lessive générale de leurs bardes, et l’on sentait, à d’âpres effluves chimiques, qu’on n’avait épargné ni le savon, ni la potasse pour ce lavage solennel. Mais la crasse expulsée des habits était restée sur les corps. Je ne m’étonnai pas, le lendemain, de la trouver dans les chambres, où je crois même qu’on la conserve et qu’on l’entretient.

Si le Turc de la plèbe, comme celui des hautes classes, a plus de décence extérieure, il est aussi, de tous les Orientaux, le plus sommairement logé. Ses maisons de bois, découpées à jour, comme des kiosques chinois, sont des glacières en hiver et de véritables étouffoirs en été. Vues du dehors, lorsqu’elles sont neuves, elles produisent un assez joli effet. Malheureusement, les intempéries du climat ont tôt fait de les transformer en de lamentables cambuses. Ajoutons que les réparations sont un raffinement occidental inconnu des Turcs et que, d’ailleurs, le système fiscal de l’Empire en fait un luxe très coûteux. Au