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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

tout séjour dans une demeure où la mort avait fait son œuvre. Il fut convenu qu’on irait à Choisy. Le Roi, la Reine et leur suite habiteraient dans le grand château ; Mesdames, filles de Louis XV, qui n’avaient point quitté leur père durant sa maladie et pour lesquelles on redoutait les effets de la contagion, s’établiraient dans le petit château pour subir l’inoculation. Tandis qu’on attelait les carrosses, Marie-Antoinette, à la hâte, écrivit à l’Impératrice pour lui apprendre la nouvelle ; on conserve ces courtes lignes, qui trahissent le trouble sincère d’une âme jeune et sensible : « Madame ma très chère mère, que Dieu veille sur nous ! Le Roi a cessé d’exister dans le milieu du jour… Mon Dieu ! qu’allons-nous devenir ? M. le Dauphin et moi, nous sommes épouvantés de régner si jeunes. Ô ma bonne mère, ne ménagez pas vos conseils à vos malheureux enfans ! »

Le départ des souverains eut lieu entre cinq et six heures du soir. Toute la cour de Versailles les suivit le jour même, et le lendemain vit débarquer les personnages demeurés à Paris ; sur la route de Choisy, pendant la journée du 11 mai, « la circulation fut immense. » Le mouvement des esprits était plus grand encore. La curiosité, l’espérance, l’inquiétude, agitaient les âmes ; mille questions se posaient, dont la réponse était incertaine et pour lesquelles on cherchait des indices. Quelle serait l’influence de Mesdames, tantes du Roi ? La Reine aurait-elle du crédit ? Les ministres en place avaient-ils chance de rester au pouvoir ? Choiseul allait-il revenir ? Cet adolescent couronné voudrait-il, au début, à l’exemple de son aïeul, se donner un premier ministre, un guide pour son inexpérience ? Allait-on voir surgir un second cardinal de Fleury ?

En cette première journée, le seul acte du nouveau Roi fut pour régler le sort de Mme du Barry. Réfugiée depuis quelques jours dans le château de Rueil, chez son amie la duchesse d’Aiguillon, la favorite attendait avec anxiété l’événement qui allait consacrer sa disgrâce. Elle apprit la mort de Louis XV par l’arrivée d’une lettre de cachet qui l’exilait à Pont-aux-Dames, vieille abbaye de la Brie champenoise qui servait quelquefois de Bastille pour les femmes. Elle partit sur-le-champ, sanglotante, résignée pourtant. Dans le désarroi général, ce petit coup d’État passa presque inaperçu. Sauf ce point, résolu d’avance, les affaires du royaume restaient comme en suspens. Les ministres en exercice, ayant, pour la plupart, approché le feu Roi dans ces