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cuisine. Il faut qu’elle travaille pour deux. Aussi la chambre, jamais balayée, est-elle remplie d’ordures. On pourrait multiplier ces tristes exemples, et si le nombre de ces victimes du travail intense ne constitue par rapport à la généralité des ouvrières qu’une minorité, cette minorité est assez nombreuse pour expliquer que certaines personnes bien intentionnées se laissent entraîner par la pitié jusqu’à des généralisations inexactes.

Quant aux 152 ouvrières qui au contraire travaillent moins de dix heures et dont quelques-unes n’accusent que cinq ou six heures de travail, au prix auquel ce travail est payé, elles ne pourraient pas vivre, si la plupart d’entre elles n’étaient mariées. Pour ces femmes, la rétribution de leur travail ne constitue qu’un salaire d’appoint qui vient grossir les recettes du ménage. La femme consacre à ce travail les quelques heures par jour dont elle peut disposer. C’est le salaire, souvent assez élevé, du mari, qui fait vivre le ménage et subvient à l’entretien des enfans. Le salaire de la femme ne fait que couvrir à peu près sa dépense personnelle. C’est là une considération qu’il ne faut jamais perdre de vue lorsqu’on traite du salaire des femmes, car elle explique bien des choses. L’enquête de l’Office du travail a mis avec raison cette situation en lumière. Sur 510 ouvrières interrogées, 258, soit 50 pour 100, étaient mariées, 169, soit 32 pour 100, étaient veuves ou divorcées[1], 83, soit 16 pour 100 étaient célibataires. Pour la moitié donc, leur salaire, quel qu’il fût, ne constituait qu’un salaire d’appoint. Par le fait, elles n’en venaient pas moins en concurrence avec des femmes dont ce salaire constituait l’unique ressource, et la situation de ces dernières était d’autant plus difficile que beaucoup, veuves ou même célibataires, avaient des enfans à leur charge (64 parmi les veuves, 10 parmi les célibataires). De là l’explication de bien des misères. Ajoutons, et le renseignement a son intérêt, que sur 211 femmes qui ont fourni des renseignemens sur la profession de leurs maris, 120 seulement étaient femmes d’ouvriers ; les autres étaient femmes d’employés ayant un traitement fixe ; l’une se disait même femme d’un publiciste.

  1. La plupart de ces veuves ne s’étaient adonnées aux travaux de lingerie qu’après la mort de leurs maris et constituaient des ouvrières peu habiles, ce qui explique leur misère.