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participant en commun à une même action familière où le moindre des acteurs joue son rôle propre, avec un caractère et une allure qui ne sont qu’à lui !

On a souvent discuté la question des origines historiques de l’art de Gentile ; et quelques-uns sont allés jusqu’à le croire issu de la vénérable école de nos enlumineurs français et flamands. En réalité, je ne pense pas qu’un doute sérieux soit possible, sur cette question, pour peu que l’on examine de front le mouvement de la pensée et celui des arts dans la région où s’est manifesté et formé le génie du vieux maître. C’est en Ombrie, dans la plus « poétique » des terres italiennes, que les artistes ont commencé pour la première fois à rêver une conception à la fois tout « humaine » et toute « poétique » du grand drame divin, telle que nous la trouvons réalisée définitivement, — et s’imposant dès ce jour à toutes les écoles de la chrétienté, — dans le retable commandé en 1422 par Palla Strozzi. Déjà une série d’histoires de la vie de saint Jean-Baptiste, peinte vers 1405 au Baptistère d’Urbin par Lorenzo et Giacomo de San Severino, nous présente un système de composition singulièrement pareil à celui du tableau de Gentile, avec la même collaboration vivante de toutes les figures, et presque avec des types et des costumes semblables. Et combien d’autres peintures, moins belles et parfaites assurément que ces chefs-d’œuvre du Baptistère d’Urbin, — qui ont dû nourrir le jeune génie de Raphaël après avoir inspiré celui de Gentile, — mais sorties d’un effort analogue à transporter sur terre les récits de l’Évangile ou de la Légende Dorée, combien nous en rencontrons d’à demi effacées dans des recoins d’humbles églises ou chapelles de campagne, aux environs de Pérouse et de Spolète, de Cortone et de Gubbio ! Un tel art n’est que le produit naturel de l’esprit ombrien ; et peut-être même la peinture de cette race bienheureuse n’aurait- elle eu qu’à jaillir spontanément de son âme, pour acquérir aussitôt ce charme de pieuse et souriante intimité populaire ; mais la destinée a permis que, à l’influence permanente du ciel et de l’air locaux, une autre influence encore s’ajoutât, plus directe et plus personnelle, pour enseigner aux artistes de ce pays les secrets d’une adaptation familière du grand drame divin. La leçon que Gentile de Fabriano est venu apporter à tout l’art chrétien, lui-même l’a apprise du glorieux compatriote qui, jadis, errant par les collines et les vallées de l’Ombrie, avait forcé la nature entière à s’unir avec lui dans un élan prodigieux d’enthousiasme mystique ; et, s’il est bien vrai que l’exécution du retable de la chapelle Strozzi marque l’une des dates les plus