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conscience du peintre que plus de six mois se passèrent avant que le retable pût prendre sa place sur l’autel de la chapelle des Strozzi, — chapelle annexée depuis lors à l’église voisine, et devenue, à présent, la sacristie de la Trinité. A la date du 21 novembre 1422, en effet, Gentile de Fabriano s’était inscrit déjà dans la corporation des « médecins et épiciers » de Florence, — car on sait que, durant plusieurs siècles, les peintres florentins ont eu à partager un même « syndicat » avec les épiciers ; — et c’est la date de « mai 1423 » que nous Lisons, accompagnant la signature autographe du vieux maître, au bas de cette Adoration des Mages qui est certainement l’un des joyaux les plus précieux de l’Académie florentine, et de toute la ville de Florence, et du monde entier.


Tenterai-je de décrire le sujet de ce célèbre tableau ? Au contraire de la plupart des peintures de Florence, il est de ceux dont aucune reproduction ne saurait donner une juste idée, sa beauté étant faite de couleur et d’air autant que de dessin : mais peut-être n’y en a-t-il pas d’autre qui, à un tel degré, s’implante pour toujours dans les yeux et le cœur de quiconque a eu la joie de le contempler. Ce nous est assez, désormais, d’entendre ou de lire le nom de Gentile de Fabriano pour nous sentir transportés, aussitôt, dans la longue salle encombrée de l’Académie où, sur un chevalet, — vis-à-vis d’une Déposition de Croix de fra Angelico plus ou moins écrasée par ce voisinage, — surgit devant nous l’admirable vision, étincelante et chantante immortellement.

Voici d’abord, au premier plan, la scène propre de l’Adoration ! Assise en plein air, devant un porche à demi ruiné, une jeune femme tout innocente et gracieuse tient dans ses bras un bel enfant nu qui, d’un geste infiniment naturel, s’amuse à plonger l’une de ses mains dans les cheveux blancs d’un vieux roi agenouillé à ses pieds. Sur la droite de Marie, dans le coin extrême, deux jeunes suivantes, — qui vont reparaître dans chacune des trois « histoires » de la prédelle, formant ainsi comme l’un des leitmotifs de ce charmant « oratorio » peint, — examinent curieusement une coupe que le vieux roi vient de donner à leur nourrisson ; de l’autre côté, le vieux saint Joseph, avec un mélange touchant d’humble réserve et de sollicitude, considère le jeu du fils de Marie, tandis que, derrière lui, nous découvrons la vivante figure d’un bœuf ombrien, et, plus loin encore, les deux oreilles pointues et l’un des gros yeux amicaux d’un bon petit âne, qui s’est réservé tout juste assez de place,