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traduire sous son pinceau l’adorable langage des anges du paradis : soit qu’il représentât le Sauveur rachetant les hommes du haut de sa croix, avec une noblesse toute divine dans l’expression résignée de son pur visage, ou qu’il peignit simplement la vénérable figure de saint Dominique rappelant à ses fils la règle du silence, d’un doigt légèrement appuyé sur le doux sourire paternel de ses lèvres. Autant d’hommes entre qui Palla Strozzi aurait pu choisir, — puisqu’il trouvait l’occasion de doter Florence d’un nouveau chef-d’œuvre, — au lieu d’aller dénicher quelque part ce Gentile de Fabriano dont l’art, évidemment grossier et rudimentaire, était bon tout au plus à contenter le goût barbare des trafiquans de Venise, ou de populations à demi « tudesques » comme celles de Vérone et de Brescia !

Mais Palla Strozzi ne se laissa point détourner de sa résolution. Bientôt le peintre inconnu, vint se fixer à Florence, avec une troupe bruyante d’apprentis et d’élèves au nombre desquels figurait probablement ce Jacopo Bellini qui, plus tard, en développant le style de son maître, allait créer la glorieuse manière des Giorgione, des Titien, et des Véronése. Dans une maison proche de l’Arno, sur la paroisse de l’église de la Trinité, — dont dépendait la chapelle des Strozzi, — maitre et élèves collaboraient joyeusement à l’exécution du retable : l’un s’étant chargé de sculpter le magnifique cadre avec ses colonnes découpées et ses trois fleurons ; un autre s’employant à parer ces colonnes de longues tiges de fleurs d’une grâce exquise, — les plus belles qu’on eût peintes depuis l’art de Pompéi, — ou à colorier les diverses figures d’anges et de saints qui remplissaient tous les champs des fleurons ; tandis que Gentile lui-même dessinait et peignait l’« histoire » principale, ainsi que les trois morceaux oblongs de la prédelle, dont le dernier, la Présentation au Temple, est malheureusement l’unique échantillon de son style qu’on puisse voir au Louvre[1]. Et l’ouvrage avançait d’un bon train, sous les encouragemens et les subsides généreux du donateur, de jour en jour plus ravi ; mais telles étaient, à la fois, l’importance du travail commandé et la

  1. La charmante Vierge que le catalogue du Louvre s’obstine à présenter sous le nom de Gentile de Fabriano a été, depuis longtemps, universellement reconnue comme l’une des œuvres les plus caractéristiques de Jacopo Bellini. Les peintures authentiques de Gentile sont, d’ailleurs, très rares : les seules qui méritent d’être nommées, à côté « le la fameuse Adoration des Mages de Florence, sont un Couronnement de la Vierge du Musée Brera de Milan, une Vierge entre deux Saints à Berlin, une adorable petite Vierge au musée de Pise, et, dans la collection privée du roi d’Angleterre, au Palais de Buckingham, une autre Vierge, peinte également à Florence, après le retable de la chapelle Strozzi, et surpassant peut-être encore ce chef-d’œuvre même en simple et profonde beauté poétique.