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d’affaires, non contens de s’attaquer à la propriété individuelle nouvellement constituée, mettre aussi la main sur la propriété collective indivise, et acheter pour quelques francs la part indivise d’un Arabe pour faire exproprier tout un douar. Le rapport de M. Franck-Chauveau, au nom de la commission sénatoriale d’études sur les questions algériennes en 1891, contient à ce sujet les détails les plus précis. D’après ce rapport, il n’était rien de plus ordinaire à cette époque que de voir, au lendemain de la délivrance du titre de propriété, un spéculateur survenir et acheter à l’une des parties son droit indivis pour un prix infime, puis assigner toutes les parties en licitation et partage. Etant donné le grand nombre des parties en cause et l’application des règles de la procédure française, le résultat de l’opération est extrêmement onéreux. On vit certaines licitations, dans lesquelles étaient intéressées 100, 200 et jusqu’à 441 ayans droit, coûter 5 000, 6 000 et 12 000 francs[1].

N’ayant pas les moyens de payer ou ignorans de notre procédure, les Arabes ne pouvaient se défendre, et tout le territoire de la tribu passait aux mains du spéculateur. Ils étaient chassés de leur ancien domaine ou obligés, à titre de métayers au cinquième ou d’ouvriers, de cultiver les terres dont ils étaient la veille propriétaires. Une agglomération de petits propriétaires a été ainsi transformée sur place en prolétariat, travaillant à de menues besognes, risquant, au prix de procès-verbaux répétés, leur maigre bétail sur les terres du colon, volant à chaque occasion le nouvel occupant usurpateur à leurs yeux, et constituant un danger et un reproche permanent pour l’administration qui a troublé leur ancienne existence et qui n’a pas su leur en assurer une nouvelle.

Pour donner une idée des souffrances auxquelles ont donné lieu les erremens que nous venons de signaler, nous citerons, entre autres, ces exemples. La tribu des Hammam-Rirha, d’où est parti en 1901 le mouvement insurrectionnel qui a abouti aux déplorables événemens dont le village de Margueritte fut le théâtre à cette époque, avait un territoire de 17 000 hectares en 1840. Il est réduit actuellement à 7 000 et ce sont leurs meilleures terres qu’ils ont perdues. Habitans d’une région montagneuse, ils n’ont pour toute ressource que de faire paître leurs

  1. Paul Leroy-Beaulieu, l’Algérie et la Tunisie, p. 107.