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C’est en vain aussi que Lancelot, écrivant aux religieuses de Port-Royal le récit de son voyage d’Alet et leur parlant tout au long de « leurs sœurs » les régentes, fera les plus ingénieux efforts pour rattacher les unes et les autres à une tige commune. L’abondance même de ses comparaisons et la multiplicité de ses efforts seront la meilleure preuve que le même esprit ne soufflait pas tout à fait à Alet et à Port-Royal. Que sont au juste les régentes ? Vincent de Paul, le maître de Pavillon, va nous le dire ! « Mes filles, vous n’êtes pas des religieuses ; et s’il se trouvait parmi vous quelque esprit brouillon qui dît : « Il faudrait être religieuse, cela est bien plus beau, » ah ! mes sœurs, la Compagnie serait à l’extrême-onction. Craignez, mes filles, et tant que vous vivrez, ne permettez pas le changement ; car qui dit religieuse, dit cloître, et les filles de la charité doivent aller partout. » C’est Vincent de Paul qui parle, et ce pourrait aussi bien être Pavillon. Comme les Filles de la Charité, les régentes sont sorties d’une inspiration toute pratique. C’est pour le monde qu’elles ont été faites, non pour le monastère ; pour l’éducation des petits enfans et pour le soin des pauvres malades, non pour la méditation.

Ce que poursuit donc l’évêque d’Alet, c’est l’évangélisation et la moralisation de ce diocèse, si longtemps abandonné, par les moyens les plus charitables à la fois et les plus raisonnables. Il veut avoir comme auxiliaires les prêtres les plus dévoués, les maîtres et les maîtresses les moins suspects. Mais par cela même que sa charité est extrême et son bon sens très éclairé, sa fermeté est très grande. Étant homme d’action, il est homme d’autorité. Autant il encourage ses collaborateurs zélés, autant il est sévère pour ceux qui ne répondent pas à son ardeur. Il prend d’ailleurs ses précautions, ne donnant la tonsure qu’à bon escient, et jamais avant l’âge de quatorze ans et un séjour convenable au séminaire ; ne promouvant aucun tonsuré au sous-diaconat s’il n’a dans le diocèse un bénéfice patrimonial de cent livres de revenu ; exigeant de tous les recteurs et de tous les bénéficiers une résidence stricte, et absolument opposé à ces résignations de bénéfices qui étaient, sous l’ancien régime, la plaie de l’Eglise de France, ainsi qu’à tous ces trafics scandaleux, si en honneur à cette époque, couverts le plus souvent de l’autorité des pouvoirs publics et dont l’extension du droit de régale ne sera pour lui qu’une variété.