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malgré la défense paternelle, vers la prison d’Ahlden.

Au milieu des somptueux monumens qui remplissent l’église de Celle, rien ne rappelle la dernière princesse de ce nom, dont le cercueil gît, dans le caveau du sanctuaire, à côté de celui de sa mère, la « Française, » condamnée encore aujourd’hui au même ostracisme.

Par suite du décès de Sophie-Dorothée, ses deux enfans, le roi d’Angleterre et la reine de Prusse, étaient devenus propriétaires en Poitou du patrimoine de leur aïeule, Ils le revendirent du reste, peu de temps après, au chevalier de Gagemont, un de leurs parens. Quand, à la fin du XVIIIe siècle, le flot révolutionnaire porta en Angleterre des milliers d’émigrés, certains d’entre eux, comme les Sainte-Hermine et les Lambertye, firent valoir les liens de parenté qui les unissaient à Georges III, arrière-petit-fils de la princesse de Celle. Le Roi fit bon accueil aux réclamations de ses cousins du Poitou, et leur vint généreusement en aide.

Sous le règne de Georges II, on eut occasion de réparer certaines pièces du palais de Hanovre, dans l’aile jadis habitée par la princesse électorale. Les ouvriers découvrirent le squelette d’un homme dont les chairs avaient été dévorées par la chaux vive ; mais des débris de vêtemens existaient encore et suffirent pour identifier les misérables restes du brillant comte de Königsmark.

Quelles que furent ses erreurs, ses imprudences et peut-être ses fautes, Sophie-Dorothée demeure infiniment supérieure à l’homme qu’elle aima et, plus encore, au mari à qui elle fut sacrifiée. Cette douloureuse victime de la raison d’Etat expia trop cruellement ses faiblesses pour que l’histoire ne lui soit pas clémente : entre la prisonnière d’Ahlden, même coupable, et les princes hanovriens, ses juges et ses bourreaux, le choix n’est pas douteux. Nous avons, il est vrai, la responsabilité de nos actes, mais combien puissante est l’influence du milieu ! Cette vérité rend plus digne de compassion que de sévérité l’enfant livrée, à seize ans, à l’atmosphère malsaine et malfaisante de la Cour de Hanovre.


Comtesse ROGER DE COURSON.