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avec une exactitude parfaite, mais dans un esprit bienveillant. Le livre eut un grand succès ; — au XVIIe comme au XXe siècle on était friand d’actualité ; — il fut lu dans toutes les Cours, même à Versailles où la Palatine le dévora. Mais, hélas ! le vain bruit qui se fit autour de son nom, l’intérêt platonique qu’excita sa douloureuse destinée, n’apportèrent aucun soulagement à la captive d’Ahlden !

Le 10 juin 1710, l’Electrice Sophie mourut subitement dans les jardins de Herrenhausen, et, trois mois plus tard, Georges-Louis devint, par la mort de la reine Anne, possesseur de cette couronne à laquelle sa mère avait rêvé toute sa vie. Il partit, sans se hâter, pour son nouveau royaume, dont il ignorait la langue, les lois et les usages, et débarqua à Greenwich. L’extérieur disgracieux de Georges, son humeur sombre et la laideur des femmes qui l’accompagnaient, provoquèrent les murmures et les risées de la population assemblée pour le recevoir. Les Jacobites, partisans des Stuarts catholiques, si injustement exclus du trône, ne manquèrent pas de relever contre le nouveau souverain les bruits fâcheux qui circulaient au sujet de la belle et malheureuse princesse dont la place était à ses côtés. Ces allusions augmentaient la mauvaise humeur du Roi, déjà mal à l’aise dans ce pays inconnu auquel il préféra toujours son petit duché de Hanovre. Il avait, en le quittant, recommandé de surveiller étroitement la captive, mais aussi de bien soigner sa santé, non pas par tendresse, mais parce qu’une diseuse de bonne aventure lui avait prédit qu’il mourrait un an après sa femme.

A part les visites de sa mère et de quelques amis[1], la vie de la malheureuse était d’une monotonie désolante. Elle administrait admirablement son petit domaine, et le village d’Ahlden, détruit par un incendie en 1715, fut rebâti à ses frais ; mais elle ne pouvait, pas plus maintenant qu’à son arrivée, circuler librement et la promenade fastidieuse de la route d’Hayden fut, pendant trente-deux ans, son unique échappée sur le monde du dehors. Le malheur et la solitude avaient développé chez elle le sens religieux, jadis absent ; elle assistait régulièrement aux offices dans l’église paroissiale ; l’orgue qui s’y trouve aujourd’hui

  1. Parmi ces visiteurs, on a relevé les noms des émigrés français que la duchesse de Celle avait attirés en Allemagne : MM. de Beauregard, de Lescours, de Pibrac, de Saint-Laurent, d’Olbreuse, etc.